Rodrigo de Zayas

par Michel Cornaton

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Plusieurs des lecteurs de plumart ont eu la chance d'entendre ce diseur de charme qu'est Rodrigo de Zayas lors du colloque international sur l'identité française, salle Molière, en novembre 97. Ils retrouveront le même souffle de l'esprit et de l'amour à la lecture de ses trois dernières œuvres, un roman et deux essais, écrits directement en français.
Gentilhomme sévillan, grand d'Espagne, inspirateur et animateur de l'extrême-gauche ibérique, détenteur d'une bibliothèque de 35000 volumes, Rodrigo de Zayas est aussi un nomade polyglotte, un métis qui a des racines… mais de palétuvier. De celles qui se nourrissent d'air, d'eau et de terre pour mieux traverser mers et continents. Après des études à Damas, plus longtemps en Rhône-Alpes, enfin à Paris, suivies d'une brillante carrière de concertiste international, il se consacre à présent à l'écriture.

LA POURPRE PROPHETIQUE

Avec la Pourpre prophétique, il nous offre le dernier volet de sa tétralogie romanesque, intitulée Ce nom sans écho, pour nous aider à "penser l'impensable du monde moderne", selon l'heureuse formule de notre ami commun, Francis Marmande, journaliste au Monde. Enrôlé dans l'armée israélienne, Gabriel est témoin de sa barbarie. A la recherche de celle qu'il n'a pu étreindre que de brefs instants, Khora la Palestinienne, il se retrouve enseignant à Damas, où il n'échappera pas à la traque israélienne. Comment ce grand peuple hébreu, victime parmi les victimes, durant des siècles et des siècles, a-t-il pu donner le jour à un Etat aussi persécuteur? C'est l'interrogation tragique de ce roman. Et puis on referme le livre pour retrouver, en illustration de couverture, Les poissons rouges de Gustave Klimt, où, de dos, figure une femme nue, à l'escarpolette de ses longs cheveux de feu. Son visage aux yeux rieurs et à la bouche ouverte se retourne alors vers nous pour nous offrir son corps courbé d'odalisque. Et nous voici transportés à Séville…

SEVILLE

Qu'est-ce que Séville?
Don Ramon avait conclu que Séville était la femme.
Etonné par cette réponse étrange, le modérateur avait demandé: Pourquoi?
Question difficile, comme tout ce qui concerne la Femme, répondit sérieusement le vieux professeur. Pour y répondre, il me vient à l'esprit une métaphore: savez-vous que les rues de Séville, du vieux Séville s'entend, suivent toutes une ligne courbe?

Une autre femme, allongée, figure de dos sur la couverture de Séville…, la Vénus de Vélasquez Diego (1599-1660), dans The Toilet of Venus. A l'image de Dieu, c'est avec ces courbes si suaves que Rodrigo écrit droit. Que dire de plus? Sinon qu'à la lecture de ce livre il vous prend une folle envie de tout plaquer et de partir illico pour Séville…

IBN’ARABI OU LE MAITRE D’AMOUR

L'illustration de la couverture d'Ibn 'Arabi ou le Maître d'amour est plus sage: sur l'enluminure arabe orientale, de la bibliothèque de l'auteur à Séville, le maître reçoit les messagers de Dieu. Ibn 'Arabi (né en Murcie en 1165, mort à la Mecque en 1241), inspirateur majeur du soufisme andalou et maghrébin, a été surnommé par le monde musulman Al-Sheikh al-Akbar, ce qui veut dire le plus grand de tous les maîtres. Après avoir quitté Séville pour Marrakech, le Maître d'amour partit en 1201 pour l'Orient et, l'année suivante, accomplit le grand pèlerinage. Il s'installera à proximité de la Ka' ba, la Pierre Noire, après y avoir rencontré "celle qui sera sa Béatrice ou sa Laure, c'est à dire l'inspiratrice de ses plus beaux vers lyriques", Nizâm, la fille d'un imam iranien.
On croit ouvrir un livre ami, on s'y découvre un frère, par une de ces rares rencontres où le flux des signes nous ramène, auteur et lecteur, aux mêmes marmites de notre enfance rhône-alpine. Vous savez, ces tourbillons torrentiels que l'un et l'autre, sidérés, nous avons admirés au cours de notre jeunesse. Ainsi nous rendions-nous aux "pertes du Rhône", à proximité de Bellegarde, avant que le Rhône ne fût réduit en esclavage par des aménageurs barbares. Alors que le Rhône disparaissait dans les marmites de pierre, nous ressentions au plus profond la douleur blanche de l'Absent, qui nous éloigne de ceux qui nous entourent en nous rendant si proches de rares élus.

Rodrigo de Zayas, La Pourpre prophétique, Ce nom sans écho IV, roman, L'Esprit des péninsules, 1998, 240p., Séville…, Séguier, coll. Racines, 1998, 150 p., Ibn 'Arabi ou le Maître d'amour, Atlantica  L'Esprit des péninsules, 1998, 128