Petite histoire de l’alimentation.

par Nathalie Demichel

 

2ème partie: Rome

De Rome on retient souvent des images d’excès en tous genres, et, en particulier de débauche gastronomique, de décadence culinaire. En fait, la réalité est, comme souvent, infiniment plus nuancée que cela. En effet, Rome est, également en matière d’alimentation, une héritière de la Grèce. A son exemple, le duo frugalité/profusion, loin de s’opposer radicalement, se complète et s’équilibre. Le citoyen romain se doit d’être mesuré dans son quotidien alimentaire et somptueux en tant qu’amphitryon, celui qui n’adopte pas un tel comportement est suspect de ne pas être un bon romain. Pain, olives, oignons, vin, légumes, salade, figues, tel est le menu de l’homme qui mange seul, les plats sophistiqués comme la tétine de truie farcie sont réservés à la convivialité des banquets. Il n’y a que les provocateurs ou les nouveaux enrichis qui enfreignent cette règle. A Rome, comme dans toutes civilisation, la chère est codifiée; se nourrir c’est manger du symbole social.

Les romains, peuple de terriens, sont de très habiles maraîchers. Toute la diversité de leurs productions est étalée aux Halles de Rome. Au rez-de-chaussée, on trouve les fruits et les légumes, au 1er étage, les entrepôts renferment les amphores de vin et d’huile, au 2ème étage ce sont les épices, le 4ème étage est réservé à l’administration, quant au 5ème étage, il est consacré aux poissons d’eau douce et d’eau de mer. Les romains sont friands des produits de la mer: murènes, rougets, huîtres sont recherchés et le garum, préparation à base d’intestins de poissons macérés au sel servant d’assaisonnement, est un des piliers de la gastronomie.
Les cuisiniers sont choyés par les riches maisons, bien payés, ils sont à la tête d’une nombreuse brigade. Lors des banquets, ils déploient un art culinaire ostentatoire, il faut alors faire riche, abondant, spectaculaire, il faut montrer toute sa virtuosité. Une des caractéristiques de la grande cuisine romaine est le goût pour la métamorphose, les aliments servis doivent avoir l’air de tout, sauf de ce qu’ils sont réellement. Des textes, tel le Satiricon, nous relatent des folies: des œufs de pâte contenant des becfigues, les signes zodiacaux évoqués chacun par un plat, un âne en bronze aux pyramides de loirs et de saucisses. On montre sa science en combinant les cuissons: un porc entier farci est présenté avec une moitié rôtie et une autre bouillie.

En toute logique, la légende a retenu surtout les excès les plus frappants, et les noms de ceux qui les ont commis. Ainsi, le personnage d’Apicius, créé à partir de plusieurs hommes qui portèrent le nom d’Apicius et qui s’illustrèrent dans les plaisirs de la table, incarne-t-il la figure emblématique du gastronome abouti. Le plus célèbre de ces Apicius vivait sous Néron. Il créait des recettes raffinées, gavait ses truies aux figues pour une chair plus savoureuse, il ouvrit une école de cuisine et écrivit des livres où il relate les bases de la cuisine de l’époque. Ruiné, il fut désespéré de ne plus pouvoir assouvir sa passion; il invita ses amis à un dernier repas et se suicida.
Pour chaque époque, les historiens connaissent mieux les pratiques alimentaires de l’élite que celles de la population modeste, car ils disposent de bien davantage de sources sur le premier sujet, cependant, on sait un certain nombre de choses.
 Bien évidemment, les paysans, le petit peuple citadin et les soldats ne bénéficient pas de grandioses festins, leur nourriture est monotone, souvent crue ou froide. Fèves, lentilles, céréales, chou, rave, salades sont nourritures de pauvres. La seule occasion pour le peuple de Rome de goûter à des mets plus raffinés survenait lors des grandes fêtes religieuses au cours desquelles des banquets publics étaient organisés par les autorités.

A n’en pas douter les distributions de vivres ont été utilisées comme arme politique par les membres des grandes familles au pouvoir. En effet, les périodes de pénurie de blé n’étaient pas rares, les prix flambaient et le peuple criait famine; les riches ambitieux, à la recherche de la reconnaissance populaire, procédaient alors à une distribution alimentaires. Crassus courtisa la plèbe au moyen de banquets. Mais, soucieux de ne pas laisser un individu s’arroger trop de prestige et de popularité par ce biais, le Sénat établit des règles pour ces pratiques (système de roulement, etc...).
Bien que très fixé, le modèle alimentaire romain n’est cependant pas exempt d’influences extérieures; avec l’extension de l’empire et le développement de ses voies de communication, on assiste à des échanges de produits et de techniques. Ainsi, si les romains vont importer la vigne en Gaule, les gaulois apporteront la cervoise, leur habileté de boulangers, de charcutiers et de fabricants de fromages jusque dans la capitale.
Où l’on voit que certains talents ne datent pas d’hier...