Les aliments symboles : le vin (1ère partie) par Nathalie Demichel Depuis plusieurs millénaires, le vin est, avec le pain, incontestablement l'aliment le plus chargé en symboles et significations, religieux ou profanes. Il a traversé tant
de civilisations, qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que, aujourd'hui encore, il soit investi d'un imaginaire particulièrement riche. Il est difficile de situer avec précision le lieu et la date de naissance du vin,
mais les archéologues le font remonter à la fin de l'âge de la pierre (5000 ans avant J.C.), à une période où l'homme se sédentarisa. Des traces de culture de vigne ont été retrouvées sur les flancs du Caucase et en
Mésopotamie. Le premier témoignage incontestable d'une viticulture organisée nous vient de l'Egypte ancienne. Sur les murs des tombeaux, on assiste, trois mille ans avant J.C., à la vendange, au foulage du raisin, à sa
fermentation, à son transport. Le tombeau de Toutânkhamon contenait, ainsi, 26 amphores de vin étiquetées avec l'indication du millésime, de sa provenance, le nom du propriétaire et du maître de chai. Réservé à une
élite, le vin est associé aux dieux, notamment à Osiris, dieu de la résurrection et du cycle de la végétation. Car dès le départ, le vin est marqué par le divin. D'une part, parce qu'il amène à une ivresse, assimilée à
une possession, il est perçu comme un outil d'initiation et de communication avec les dieux. D'autre part, parce que sa couleur rouge évoque le sang et la vie éternelle. Ce symbole persiste d'ailleurs à travers des
civilisations et des religions très différentes. L'idée d'éternelle renaissance se retrouve au travers d'Osiris, de Dyonisos et de Jésus. L'origine même du vin est divine : en Grèce, il est donné par Dyonisos au roi
Oenée, à Rome c'est Saturne qui tient ce rôle. La Bible a recours à de nombreuses images axées sur la vigne et le vin. Pour ceux qui suivent Moïse la première vision de la Terre Promise fut une grappe de raisins. Jésus
change l'eau en vin lors de Noces de Cana. Il dit : "Je suis le vrai ceps et mon Père est le vigneron." Le vin est bien évidemment au centre de la Cène en étant identifié au sang du Christ. Mais le vin est également
lié aux forces obscures et dangereuses de l'homme. A Rome, les fêtes organisées en l'honneur de Bacchus permettaient un renversement de la morale et de l'ordre établi (à l'image du carnaval). Ainsi, les maîtres
servaient les esclaves, un droit d'insulte et des parodies de Justice étaient pratiquées. Les riches romains fuyaient cette période agitée en gagnant la campagne. Les Bacchanales furent momentanément interdites en 186
avant J.C. Jusqu'au IIIème siècle avant J.C. les moralistes romains restent relativement méfiants vis à vis du vin, susceptible de saper les vertus guerrières de Rome. Après les guerres puniques, l'état d'esprit
changea; avec la victoire le goût pour les produits de luxe se développa, notamment pour les vins grecs importés, particulièrement appréciés. Il est vrai que la Grèce antique donnait au vin une place de premier plan. Il
appartient au triangle pain/vin/huile, qui symbolise son alimentation et sa culture, notamment vis à vis des non-grecs. L'historien Thucydide a écrit à la fin du Vème siècle avant J.C. : "Les peuples méditerranéens
commencèrent à sortir de la barbarie quand ils apprirent à cultiver l'olivier et la vigne". Boire du vin, c'était être civilisé. Mais attention, boire du vin ne voulait pas dire le boire n'importe comment. Les règles
qui accompagnent sa consommation sont strictes et distinguent, là aussi, le civilisé du barbare. Le Grec boit le vin coupé d'eau, souvent d'eau de mer. On ne boit pas seul, mais essentiellement lors des symposium, ces
banquets, dont la première partie est réservée aux nourritures solides et la seconde aux libations, à la conversation et aux jeux. Le vin est mélangé dans un cratère selon des proportions décidées par le maître de
cérémonie et bu dans une coupe à deux anses. L'ivresse est condamnée car le citoyen modèle est mesuré. Ce qui n'est pas le cas des Gaulois, réputés pour leurs excès. Le trafic du vin est attesté en Gaule, bien avant la
conquête romaine. Le vin est réservé aux guerriers qui le boivent avant la bataille à la mémoire des morts et pour honorer les dieux. Les chefs celtes sont enterrés avec de la vaisselle vinaire (cratères, coupes,
bassin, etc..). Offrande religieuse ou signe de convivialité codifiée, on le voit, le vin tient une place capitale dans les rituels et les célébrations qu'elles soient profanes ou sacrées. Progressivement au cours des
IIIème siècle et IIème siècle la consommation de vin s'étend à toutes les couches de la société gauloise. Elle constitue même un marqueur de la romanisation de la Gaule. La viticulture gauloise, quasi inexistante au
début, va se développer; le tonneau, apport des gaulois va remplacer l'amphore; un commerce intense du vin se met en place. A tel point que l'empereur Domitien devra, par décret (peu respecté au demeurant), ordonner
l'arrachage des vignes dans les provinces romaines, dont les vins faisaient trop concurrence aux vins de la péninsule et entraînaient une chute de leurs prix. Mais si le goût des gaulois pour le vin peut être perçu
comme une préfiguration du goût des français, les événements ultérieurs ne feront que renforcer ce penchant. Après la chute de l'Empire, le vin va connaître une seconde carrière, toute aussi florissante...
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