Les aliments symboles: 
le vin - suite

 par Nathalie Demichel

Après la chute de l'empire romain le vin conserve tout son prestige; aux yeux des hommes du Moyen-Age, c'est un agrément indispensable à toute existence de haut rang. Sous les dynasties mérovingiennes et carolingiennes les évêques travaillent à la conservation et à la création de vignobles. A Paris, Saint Germain fait planter des vignes sur les deux rives de la Seine, de même pour Saint Nizier à Lyon. L'Eglise a besoin de vin, et ce, en grandes quantités non seulement pour l'accueil des personnages de haut rang et des pèlerins, le soin des malades, mais également pour la messe. En effet, jusqu'en 1414, le sacrement de l'Eucharistie est donné aux laïcs sous les deux formes, autrement dit, chaque participant reçoit à la fois l'hostie et le vin. Tous les grands ordres religieux (bénédictins, cisterciens, chartreux, etc...) ont été à l'origine des grands vignobles. Très souvent même, la fondation d'un abbaye est réalisée seulement après la réussite des premières vignes. Aujourd'hui, 109 appellations de vins référencés ont une origine monastique (contre seulement 17 en Italie). En Bourgogne, les moines ont fait naître, par exemple, le Romanée-Conti, le Vosne-Romanée ou le Clos Vougeot. Eux seuls ont les terres, achetées ou léguées, ainsi que le temps et l'instruction nécessaires pour améliorer sans cesse les techniques de viticulture et de vinification. Ainsi, le christianisme a été le propagateur de la vigne et le propagandiste du vin et la viticulture ecclésiastique accroîtra la richesse de l'Eglise par ces grands crus, si réputés, et si chers, même si l'Eglise condamne bien évidemment l'ivresse. L'empreinte de la religion est encore visible dans les saints consacrés à la vigne : pas moins de 30 saints sont dénombrés pour les vignerons français (Saint Martin et Saint Vincent sont les plus célèbres). Le vin acquiert d'autant plus une place symbolique que les musulmans le condamnent comme impur; boire du vin c'est alors s'affirmer comme chrétien.
Qui plus est, il est énormément utilisé par les médecins qui le considèrent comme un excellent reconstituant pour les malades car il réchauffe le sang. Il est également réputé pour soigner les abcès, les morsures de serpent, et pour soulager le foie et la rate.

Jusqu'au XVIIIème siècle, chaque région consomme sa propre production de vin. Les moyens de transports sont lents et périlleux et la majeure partie de la production de vin n'est pas conservable longtemps; il se gâte dès le printemps. Seuls les plus riches peuvent s'offrir le luxe de faire venir de loin des vins précieux. Chaque grande cité a alors son vignoble, non loin de ses remparts, pour alimenter sa population. Mais, pendant des siècles, la demande en vin ne cessera d'augmenter dans les villes. On estime la consommation annuelle d'un parisien à 100 litres, 250 si on exclut les femmes et les enfants. La population se plaint du prix du vin lesté par moult taxes, octrois, péages et autres droits. Ce qui explique la liesse populaire lors de la suppression des octrois en 1791. La veille de l'enlèvement des barrières d'octroi, dans la nuit, une véritable foule se rassembla accompagnant les charrettes de vin dans un cortège triomphal.

Le peuple boit de l'eau, pas toujours saine, du lait, du cidre, et de la piquette, du vinaigre coupant l'eau. Les goûts évoluent, car, si au Moyen-Age on préfère le vin clairet, la tendance va s'inverser à partir du XVII ème siècle, au profit de vins rouges plus épais. Il faut attendre le XIXème siècle pour que le vin entre pleinement dans le champ de la gastronomie. L'idée d'associer harmonieusement vins et plats peut naître dans la mesure où elle est rendue possible par l'abandon du service à la française au profit du service à la russe. On assiste au développement d'un discours savant; on ne doit plus seulement boire du vin, mais il faut savoir en parler en connaisseur.

Vin et politique ont été souvent liés dans l'histoire. Ainsi, dès 1225, on tente de fixer un palmarès des vins, dont on exclut les vins du Roussillon et du Languedoc pour cause d'hérésie cathare... De l'an 1000 à 1477, les ducs de Bourgogne soucieux de leur gloire et de leur richesse protégèrent la viticulture de qualité. En 1395, Philippe Le Hardi donne ordre d'arracher le cépage Gamay qui donnait "abondance et très mauvais vin". A partir de l'occupation anglaise, au XIIIème siècle, le Bordelais fit fortune en lançant la mode du vin français. Les anglais armaient une véritable flotte pour ramener le vin dans leur pays. En 1373, 300 bateaux vinrent remplir leurs cales des tonneaux bordelais. La production locale ne suffisait pas à fournir, on devait faire appel aux vins de Gaillac, Cahors, Bergerac ou Toulouse. Lorsque la situation politique et militaire évolua vers le retour de la province bordelaise dans le giron français, nombre de bordelais firent grise mine car on leur coupait des débouchés commerciaux énormes. Lors de la Révolution française, le vin rouge est considéré comme vin révolutionnaire, il avait rang de boisson égalitaire, républicaine et patriotique, l'emportant sur le vin blanc associé aux capétiens. De 1792 à 1795, la consommation de vin de luxe se fait très discrète pour cause de Terreur. Le vin a été le symbole même des peuples lors des grands conflits. La fin du XIXème siècle vit en Alsace l'affrontement culturel entre le vin et la bière, affrontement renforcé après la défaite de 1870 car la bière est identifiée à l'allemand et le vin à la France latine. Ce furent les enfants de Bacchus contre ceux de Gambinus, le patron des buveurs de bière. De nombreuses chansons belliqueuses et revanchardes de cette époque en portent témoignage. Pendant la guerre de 14, la propagande véhiculait l'image du Père Pinard réconfortant les soldats; les viticulteurs du Midi avaient offert leurs stocks de vin aux troupes. Le vin qui avait arrosé les heures heureuses allait les accompagner dans la mort.

Pour en savoir plus :
La société du vin - Que sais-je?
La civilisation du vin - Que sais-je?
Histoire sociale et culturelle du vin - Larousse, collection In Extenso
Désirs d'ivresse, alcools, rites et dérives - Autrement, collection Mutations, n° 191,
fév. 2000