Le triptyque de la Tour-du-Pin
au Musée de l'Ancien Evêché

par Marion Vivier
pour Lieux-dits 

Le célèbre triptyque de la Tour du Pin a quitté temporairement l'église qui l'abrite pour faire l'objet d'une mise en valeur attendue et méritée.
La restauration du cadre en bois et de la couche picturale en a constitué la première étape, avant sa présentation dans l'ancienne chapelle du Musée de l'Ancien Evêché, jusqu'au 15 décembre 2000. Œuvre monumentale du XVIe siècle, longtemps attribuée à un élève de Dürer, le triptyque a été classé Monument historique dès 1904.

C'est en Flandre, au XVe siècle, que le triptyque devient l'expression la plus répandue du retable peint. De forme et de dimensions très variées, les retables sont chargés d'évoquer, depuis l'autel où ils sont placés, des scènes de la vie du Christ ou des saints patrons. Fermées la plupart du temps, ces œuvres, véritables ornements du mobilier liturgique, n'étaient ouvertes qu'à l'occasion des offices et des fêtes. Les trois panneaux de bois qui composent le retable de la Tour sont tout entier consacrés au thème de la crucifixion : les deux volets mobiles offrent une représentation de la montée au calvaire, une descente de croix, un Ecce Homo et un saint Jérôme priant devant la croix, le panneau central déploie une lamentation, tandis que le revers offre la vision énigmatique d'un gisant drapé dans son linceul.

Le caractère exceptionnel de cette œuvre dans le paysage artistique régional, ses dimensions inhabituelles, l'intérêt passionné qu'elle a suscité chez un grand nombre d'érudits locaux, ont auréolé ce tableau de légende et de mystère. L'auteur de ce triptyque est inconnu, mais la tradition rapporte qu'un peintre itinérant l'offrit à la Tour du Pin "en remerciements des bons soins reçus à l'hôpital des pèlerins". Influences italiennes et flamandes font de cette œuvre française, un document précieux pour l'histoire de la création artistique à l'époque moderne. La présentation du triptyque dans son cadre d'origine en bois polychrome, la citation directe pour son volet de droite d'une œuvre de Marc Antonio Raimondi et la présence d'un gisant peint à la détrempe au dos de l'image du corps du Christ sacrifié, rendent ce tableau unique et particulièrement remarquable.

Un cadre exceptionnel
Le triptyque est présenté dans son cadre d'origine en bois polychrome. La conservation de ces cadres, souvent sculptés et richement décorés, est tout à fait exceptionnelle. Couronné par une imposante corniche et scandé par des pilastres plats surmontés de chapiteaux composites, le cadre de la Tour fait appel à un vocabulaire ornemental typiquement italien. Des putti aux ailes dressées alternent avec des vases et des têtes de bélier et forment une ligne élégante qui souligne la structure architectonique du cadre. Le millésime apparaît à plusieurs reprises et révèle les dates de 1541-1542.

L'influence d'un maître de l'estampe
Le volet de droite, consacré à la Descente de croix, est une véritable citation d'une gravure réalisée en 1515 par Marc Antonio Raimondi à qui l'on doit une des productions les plus éblouissantes de l'estampe du XVIe siècle. Cette composition audacieuse et enlevée, sans doute la plus dynamique de l'ensemble du triptyque, a donc sa source dans une estampe maintes fois reproduite au XVIe siècle. Le principe unificateur de cette Descente de croix est simple: le triangle auquel tous les personnages semblent se plier. Le cadavre du Christ, bientôt arraché à la croix, forme une ligne douloureuse que tentent de soutenir les quatre hommes juchés sur les échelles. Au mouvement du corps du Christ répond l'attitude de la Vierge, courbée sous l'effet de la douleur. Les jambes de la Vierge soutenue par l'une des Marie dont l'emplacement vient conforter la stricte symétrie imposée par la croix, semblent constituer l'assise de la composition.

"Souviens-toi que tu es mortel"
Au dos du panneau central figure un gisant accompagné de sa devise "O IESU FILI DAVID MISERERE NOBIS" (O Jésus, fils de David, prends pitié de nous). Cette figure étonnante et translucide, cette évocation de la mort, à la fois présente et cachée, est une des images fortes du triptyque. Dès le milieu du XVe siècle se précise l'habitude de placer un symbole frappant, et de préférence un crâne, au revers des polyptyques présentant des portraits (triptyque Braque de Van der Weyden, Louvre). Associé bien souvent à l'image du donateur qui figure sur la face visible du tableau, les memento mori sont alors destinés à compléter la signification religieuse de l'ensemble. Le gisant de la Tour-du-Pin est tributaire de cette formule iconographique, mais est également l'héritier des nombreux gisants qui, au début du XVe siècle, répondent aux inflexions de l'inquiétude religieuse: les sépulcres se chargent d'évoquer la mort dans ce qu'elle a de plus effroyable. Mépris de la chair fragile et foi en une résurrection promise par le sacrifice du Christ, ce gisant, fruit d'un destin individuel imprimé au dos de l'image du corps du Christ sacrifié, rappelle que la mort et la résurrection du Christ annoncent la mort et la résurrection du genre humain tout entier.

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