Il y a des films comme ça qu'on a du mal à oublier,
dont les images nous hantent, auquel sans cesse notre esprit se réfère, se raccroche. Des films décalcomanies d'une sensibilité particulière et atypique, chargée d'humanité, de sagesse modeste et de poésie. Sans
doute est ce pour cela que le dernier documentaire d'Agnès Varda reste aussi solidement amarré à la mémoire du spectateur. Sorti en juillet dernier, Les Glaneurs et la Glaneuse a quelque chose
d'intemporel: l'activité de glanage remonte aux origines, la griffe de Varda passe les modes et franchit les années sans perdre fraîcheur ni éclat. Alors quand la grande
Dame nous fait l'honneur de sa visite, on se précipite à sa rencontre, humble et tremblant d'excitation. Et on n'est vraiment pas déçu...
Pourquoi choisir de faire un documentaire sur le glanage?
"Je me posais des questions sur cette coutume ancestrale: les textes bibliques mentionnent déjà le droit de glanage. J'ai trouvé intéressant d'en faire un état des lieux en l'an 2000. Je ne suis ni agronome ni
assistante sociale, j'essaye juste de faire des rencontres qui éclairent des choses que je ne connais pas bien, de les comprendre avec mes yeux, ma
petite tête et ma caméra. C'est peut-être la patate en forme de cœur qui donne vraiment la clef du film, cette générosité des personnes pauvres qui savent donner aux plus pauvres qu'eux. Je trouve cela formidable".
En même temps vous revendiquez clairement qu'il s'agit aussi d'un auto-portrait. La Glaneuse du titre, c'est vous ...
"C'est vrai. Je fais mes premiers pas dans le 3ème
âge et on ne peut pas dire que ce n'est rien. Alors j'avais envie de me demander aussi où en était Agnès en l'an 2000. Car si je fais toujours du cinéma, ça ne
m'empêche pas, moi, de changer. Et puis la petite caméra numérique que j'utilise prête à un peu de narcissisme, j'ai laissé traîner un peu de moi dans le film. Mais au fur et à mesure, j'ai laissé de côté mes
questionnements, je m'en suis désintéressée pour me plonger dans le vrai sujet du documentaire. Faut pas non plus en faire tout un plat, il faut aussi savoir passer à autre chose, pouvoir dire allez, on part en balade!"
Justement comment se sont passées vos rencontres avec les différents glaneurs que l'on voit dans le film?
" Au départ je n'en connaissais aucun.. C'est un peu comme une partie
de pêche, ou une enquête: dès qu'on me donnait un tuyau, j'allais voir. Parfois ça tourne court, et il faut aussi procéder à un tri. Je cherchais
des gens qui avaient des choses à dire, qui désiraient la prise de parole. J'ai du beaucoup dialoguer avec eux avant pour les mettre en confiance et gommer la distance de l'interviewer. Je me suis attachée à ces
glaneurs et j'en revois souvent. Faire un documentaire c'est aussi une question éthique, une école de la modestie. On se replonge dans ce que la réalité a d'irréel, d'extraordinaire, on filme la vérité des gens. Le vrai
sujet du film, c'est l'autre".