Viallat en quatre temps, quatre lieux Beau comme un Viallat
Par Nelly Gabriel
Des dessins, peintures sur papier, collages, empreintes (1968-1990) au Musée d'Art moderne de Saint-Etienne et des pièces historiques à la galerie Confluence(s) de l'IUFM, des "portes" à la galerie
Verney-Carron, réalisées entre 1999 et 2000, ainsi que quelques œuvres monumentales où l'artiste flirte avec le monochrome, et au Rectangle plus de soixante-dix peintures inédites prenant pour support
des échantillons de la Maison de soierie lyonnaise Bucol... Pour un artiste qu'on n'avait quasiment jamais vu à Lyon, depuis son entrée dans la carrière artistique, en 1966, on peut appeler cela un
rattrapage. Etonnant, d'ailleurs, que Claude Viallat, un des grands peintres actuels, n'ait jamais eu les honneurs des cimaises et des espaces lyonnais, alors qu'il était chez lui à
Saint-Etienne, où Bernard Ceysson, dès l'époque de Supports-Surfaces s'intéressait à lui. En 1974, il lui consacrait une exposition qui fut la première
monographie de l'artiste dans un musée. Nous, c'est plutôt Buren que l'on a accompagné depuis plus de vingt-cinq ans. Chacun ses choix. Bouchées doubles, donc, pour évoquer sur toute sa passionnante histoire, une œuvre placée sous le signe de la fidélité et de la liberté. La sensualité, triomphante
aujourd'hui, est venue plus tard... Tout commence à la fin des années soixante, dans un militant et contestataire contexte artistique. Claude Viallat (né à Nîmes en 1936) après avoir, comme tout le monde,
appris son métier de peintre aux Beaux-Arts (Montpellier, puis Paris), et peint, comme beaucoup, des natures mortes académiques, remet en question cet enseignement, la conception du tableau et de la
peinture qu'il sous-entend, le métier qui l'accompagne. Dès 1966, il trouve, par hasard, dit-il, cette forme non symbolique, non décorative, qui va
devenir son empreinte sur la toile. Une manière de signature auquel il est toujours fidèle. Dès l'année suivante, il abandonne le tableau de chevalet pour
explorer les possibilités d'une toile libre dans l'espace, sans recto ni verso. Ses expérimentations propres et les réflexions qu'il partage avec Daniel Dezeuze et
Patrick Saytour donneront naissance en 1970 au groupe Support/Surface lequel ramène l'œuvre d'art à sa réalité matérielle, ses composants étant mis en
valeur au détriment de la représentation. Le tableau disparaît comme lieu d'une mise en scène pour réapparaître dans sa physicalité pure de support et de
surface. A l'IUFM, outre des toiles libres marquées de l'anodine mais désormais célèbre empreinte au pochoir, on peut voir notamment des œuvres
de cette période, à savoir un travail dans l'espace et avec l'espace réalisé à partir de cordes, de nœuds, de filets, basé sur l'expérimentation des
possibilités du matériau à travers l'enroulement, l'extension, la tension. Support/Surface défunt, Viallat écrira bien d'autres chapitres aux aventures
triangulaires du support, de la peinture et de la forme. Avec toujours plus de diversité et de liberté dans le choix du support, bâches, toiles de tente, toiles
cirées, draps, sacs de jute, parasols... Toujours des tissus usagés, de nature utilitaire et plutôt d'extraction populaire. Avec toujours la répétition réglée de
la forme à l'intérieur de l'espace, marquage du temps autant que rythme de la composition. Une contrainte dans laquelle le peintre a trouvé le chemin de sa
liberté. Avec toujours plus de sensualité et, semble-t-il, de plaisir, dans l'utilisation de la couleur. Rouge, bleu, jaune, vert... Aux premières couleurs,
limitées, sans recherche d'effet, et posées le plus impersonnellement du monde, va succéder un balthazar de teintes qui affirmera Claude Viallat
comme le plus grand coloriste de sa génération. De raboutage en pétassages, entendez de fragments ajustés en fragments rapiécés, son œuvre plutôt
minimale, austère, pour ne pas dire rigide en ses débuts, s'est épanouie dans des formes inattendues, dans des harmonies ou des dissonances colorées frisant parfois la luxuriance.
C'est ce coloriste que l'on retrouve chez Verney-Carron, où ses "portes" posent avec humour la question du cadre, et surtout au Rectangle, où l'habitué
des tissus modestes, l'amoureux des étoffes grossières qui ont vécu et qui le montrent, a dû œuvrer sur la noble soie. Surmontant un a priori vis à vis de ce
tissu qui, avoue-t-il, le "réfrigérait", Viallat a questionné comme il l'aurait fait avec des vulgaires mousselines de vogue la question du bon et du mauvais
goût. Forme contre motifs, qu'en est-il du kitsch, ou du statut de la beauté quand les couleurs de la peinture provoquent un peu rudement les ramages du
tissu, ou créent, au contraire, comme un écho à un fond uni? Comment travailler la charge émotionnelle particulière de la soie, son élégance, sa
sensualité charnelle? Surenchérir dans l'enrichissement est souvent la réponse que l'artiste apporte dans son art. Il fait de même ici tout en variant subtilement
la densité de ses réponses. La rencontre, à l'évidence, évite le conflit grâce à une dialectique habile. Pas de tensions dans ces œuvres. Une beauté qui transcende leurs composants. La peinture dans tous ses éclats. On pourra, dans ce qui est tout de même une sorte de défi, ne voir qu'un jeu de matières, qu'un exercice de plus, alors que justement, nous semble-t-il, ce
travail s'inscrit logiquement dans le processus d'expérimentation des supports qui est celui de l'artiste. On pourra, avec plus de raison, regretter la dimension,
timide la plupart du temps, des échantillons fournis à l'artiste. On pourra souligner, quel truisme, que Viallat est toujours Viallat et qu'il ne nous surprend
pas. Mais en a-t-il envie? On ne pourra pas, sans quelque mauvaise foi, nommer redites ses répétitions. A l'intérieur d'un système formel posant de
strictes limites, l'artiste a su développer une réponse plastique qui demeure fidèle à elle-même tout en se renouvelant. Signe d'une belle liberté. Nouvelles peintures sur tissus Bucol, au Rectangle, place Bellecour, Lyon 2e. Tél.: 04 72 41 88 80. Tous les jours de 12 à 19 heures (sauf lundi). Jusqu'au 31 décembre.
Sélection d'œuvres récentes, à la galerie Georges Verney-Carron, 99, cours Emile Zola, Villeurbanne. Tél.: 04 72 69 08 40. Du lundi au vendredi de 9 à 12 heures et de 14 à 18h30. Jusqu¹au 10 novembre.
Claude Viallat dans les collections du Musée d'Art moderne de Saint-Etienne, galerie Confluence(s) de l'IUFM - 5, rue Anselme, Lyon 4e. Tél.: 04 72 07 30 30. Du mardi au
vendredi de 10 à 18 heures; le samedi de 10 à 12 heures et de 14h30 à 18 heures. Jusqu'au 10 novembre. Dessins et œuvres sur papier (1968-1990), Musée d'Art moderne de Saint-Etienne (42)
Tél.: 04 77 79 52 52. Tous les jours sauf mardi de 10 à 18 heures. Jusqu¹au 31 janvier.Photos: 1) Carton pour l'exposition du Rectangle
2) Carton pour l'exposition du Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne " Sans titre ", 1974,Claude Viallat (Viallat ©Adagp, Paris 2000
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