Chassez le cépage, le mythe revient au galop
A propos des "vins mythiques" de l'Ardèche

Par Florence Charpigny

En Ardèche, lors d'une ballade dans les vignes, d'une dégustation, d'une conversation à bâtons rompus autour d'un verre de gamay primeur, une question revient immanquablement, posée à mi-voix ou volontairement provocatrice: pourquoi ne peut-on plus boire aujourd'hui de clinton, de jacquez, d'isabelle? Ces cépages importés d'Amérique rendaient-ils vraiment fou? Pourquoi ont-ils été arrachés? Freddy Couderc répond à ces questions – et à bien d'autres - dans un ouvrage singulier, éloge des hybrides interdits, mais aussi chronique sensible du temps passé, reconstituée à partir de souvenirs personnels et de nombreuses rencontres avec des viticulteurs, des agriculteurs, des Ardéchois enthousiastes, tous viscéralement attachés à leur vigne.

En 1874, dans le vignoble de la Cévenne ardéchoise, la récolte est exceptionnelle, à la fois par sa qualité et sa quantité, raconte Freddy Couderc. C'est la dernière. On ne sait pas encore que le phylloxéra va irrémédiablement détruire les vignes. Pendant quelques années, les Cévenols ne pourront pas boire "leur vin", ni même le vin des autres, d'ailleurs: partout, il manque, mille ersatz apparaissent: vins de sucre, de raisins secs…Peu à peu, la riposte s'organise, sulfatages, inondation des vignes, arrachage et nouvelles plantations: résistants, peu sensibles au phylloxera, cultivés pour une production directe ou comme porte-greffe, les cépages américains sont importés en grand nombre pour reconstituer le vignoble méridional. L'auteur décrit la rencontre entre la terre cévenole et le clinton, l'isabelle, l'herbemont, le noah, l'othello ou le jacquez, et montre la dense cohérence entre le terroir et ces cépages qui prospèrent tant et si bien que leur rusticité et leur productivité même les condamnent: au début du XXe siècle, c'est la crise de surproduction. Il faut arracher. La bataille entre les producteurs et le législateur est longue, difficile, inégale. Mais les liens entre le pays et les cépages demeurent solides, à tel point que le clinton est considéré comme un cépage quasiment endogène.

Amateur et collectionneur de vins, familier des millésimes prestigieux, des crus de haut niveau, Freddy Couderc, dont la famille est originaire d'Ardèche, a renoué avec ses racines et le souvenir de son ancêtre Georges Couderc, célèbre hybrideur cévenol. Son ouvrage en découle manifestement. Il s'est tourné vers des "vins de plaisir", comme il les nomme lui-même et, avec une grande simplicité et beaucoup d'authenticité, il prend parti pour leur réhabilitation en combattant quelques idées reçues: non, correctement vinifiés, ces vins n'ont pas de goût foxé; non, la teneur en méthanol n'est pas aussi élevée qu'on le prétend; oui, de bons assemblages équilibrent les arômes de cassis du jacquez et de framboise de l'isabelle… Son plaidoyer, tout comme les témoignages qu'il nous livre, montrent un pays qui reconstruit son identité. A le lire, une question naît cependant: si les cépages américains sont mythiques, comment qualifier les cépages originels, ceux que cite Olivier de Serres et qui, pour quelques-uns, sont actuellement remis en culture ?
"Le choix d'un vin est de l'ordre du social, du culturel et de l'affectif " écrit Freddy Couderc. Ô combien! Son ouvrage l'exprime.

Freddy Couderc, Les Vins mythiques de la Cévenne ardéchoise et du Bas-Vivarais, Pont-Saint-Esprit, La Mirandole - Pascale Dondey éditrice, 2000, 207 p
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