Des parfums de nèfle, de poivre blanc, de griotte…
l'aventure du chatus, cépage ardéchois

Propos recueillis par Florence Charpigny

Dorénavant, le deuxième week-end de décembre, la cave coopérative vinicole de Rosières, dans le sud de l'Ardèche, est en pleine effervescence : c'est la sortie officielle et la mise en vente du chatus. Cépage connu des Romains, cité par Olivier de Serres dans son célébrissime Théâtre d'agriculture et mesnage des champs , décimé par le phylloxéra et remplacé en partie par des cépages américains, le chatus s'est pourtant agrippé à sa terre d'élection. Redécouvert par quelques vignerons passionnés, il est à présent vinifié. Récit d'une aventure humaine par Christophe Reynouard, viticulteur.

Depuis quelques années, on parle du chatus. Quelle est son origine, et où en est sa production ?
Christophe Reynouard : Actuellement, nous sommes en phase de renaissance. Je dis renaissance parce que le chatus est un vieux cépage de chez nous ; avant la crise phylloxérique, il était très bien implanté dans la Cévenne ardéchoise puis, après le phylloxera, il est tombé en désuétude.  Nous, à la cave de Rosières, on l'a redécouvert à partir de 1988, à la suite d'une observation toute simple : avant nous, le chatus était mélangé à des cuvées de syrah, et les mauvaises années, lorsque les courtiers venaient goûter à la cave de Rosières, ils cherchaient toujours la cuve de syrah où il y avait le chatus. Pourquoi, parce que le chatus ne craint pas la pourriture, a une assez bonne acidité, donc une couleur qui se conserve bien ; ces courtiers-là cherchaient toujours la cuve où était le chatus parce qu'ils savaient qu'ils avaient là une syrah intéressante, d'une structure plus corsée que la plupart des autres syrah, et qui allait se tenir dans le temps : à Pâques ou en juillet d'après, ils auraient toujours une syrah qui serait bien. Cela nous a mis la puce à l'oreille, alors, à partir de 1988, on a décidé de vinifier une première cuvée. C'était une vinification à macération carbonique, qui n'est pas une cuvaison adaptée au chatus, mais c'est la seule méthode qu'on avait trouvée pour pouvoir visuellement trier les raisins. Parce que dans les vieilles vignes qu'on avait alors, avant de commencer à replanter - on les a d'ailleurs toujours - il y a souvent des jacquez et des clinton, qui sont des cépages hybrides qui avaient servi, il y a un siècle, de porte-greffes. Donc on a fait passer les grappes au tapis roulant, et cela nous a permis, si une grappe de jacquez ou de clinton était passée par mégarde dans le voyage, de l'éliminer. On a pu ainsi vraiment créer un produit en étant sûrs qu'il y avait 100% de chatus. Et puis on l'a goûté, ça nous a plu, et on a continué.

Donc, la renaissance du chatus a eu lieu à la cave de Rosières ?
CR : Oui, et c'est là qu'il est vinifié en majeure partie : nous collaborons étroitement, mais je fais mon chatus chez moi, dans mon chais. Cependant tous les producteurs sont rassemblés dans un syndicat, le syndicat des producteurs de chatus, que nous avons créé en mars dernier. Nous avons établi une charte de qualité de production, qui définit aussi bien le travail du vignoble, la culture, que la partie vinification, élevage. Par exemple, le chatus doit passer au minimum un an en fût et un an de bouteille. Comme la mise en marché a traditionnellement lieu le deuxième week-end de décembre, le vendanges 2000 sera mis en la vente le 2e week-end de décembre 2003, et en décembre 2000, le vendanges 1997. Notre cahier des charges est plus draconien que celui d'une appellation d'origine contrôlée. Les règles du jeu que nous avons établies sont très strictes, voici un autre exemple : le rendement est limité, comme pour les appellations, mais - et c'est ce qui est joli, c'est que nous sommes à la fois cave particulière et cave coopérative - moi, en cave particulière, je passe dans les vignes des collègues de la coopération, et eux chez moi, on passe, on juge pour savoir si la vigne a été bien éclaircie, si c'est conforme au rendement. Si ce n'est pas conforme au rendement, on demande au viticulteur d'éclaircir, on repasse 15 jours avant la vendange et si ce n'est pas conforme, le vin est déclassé. Il peut être vinifié, mais ne pourra pas avoir le label chatus.

Actuellement, sur quoi travaillez-vous ?
CR : En ce moment, dans le cadre du syndicat, nous travaillons sur un projet de chais de vieillissement, la création d'une unité pour le travail, parce que le fût est un travail délicat, qui demande beaucoup de main-d'œuvre, donc créer un atelier d'élevage performant, commun, nous permettra d'évoluer tous ensemble, de rester soudés. Nous achevons aussi la mise au point d'une bouteille spécifique au chatus, qui garantira au consommateur la qualité du vin et sa conformité au cahier des charges, c'est très important pour nous. Et en novembre, nous avons organisé un repas-dégustation chez un restaurateur : comme le chatus est un produit à part, on ne sait pas encore précisément avec quels plats le conseiller. Moi, ce que j'adore au chatus, c'est une rôtie de tourtres, les tourtres ce sont des grives, chez nous, c'est un régal. Malheureusement, il n'y a pas beaucoup de grives, et il n'y a pas beaucoup de chatus non plus ! Donc nous sommes allés chez un collègue restaurateur, il nous a préparé 8 plats, pour goûter avec le chatus, des plats sucrés ou salés. Il a eu carte blanche, libre cours à son imagination. Le résultat: absolument superbe!

La production démarre donc, est-elle déjà rentable ?
CR : Oui, mais elle est confidentielle. Nous sommes en train de replanter, et il faut être patients, nos 8 hectares 1/2  ne produisent pas encore en totalité.  Bien sûr, nous avons des rendements, personnellement, je ne dépasse pas 300, 400 bouteilles par millésime, dans une gamme de prix de 50 F. Pour nous, c'est autre chose, on se fait plaisir : on a enfin notre maillot. Parce que quand on plante du gamay, c'est le gamay du Beaujolais, quand on plante du merlot ou du cabernet, c'est du Bordelais, alors que le chatus, il est à nous ! Il n'y a plus de honte à produire un produit qui n'est pas de chez nous, on n'a que de la fierté de produire le nôtre.

C'est un peu fort de dire "la honte", non ?
CR : Le mot est peut-être un peu fort, oui, mais comment expliquer ? Avec le gamay, le merlot, on est comme vassal de quelqu'un d'autre. On a l'impression d'être toujours en dessous. D'ailleurs, le chatus, c'est un produit que je n'ai pas besoin de vendre : les consommateurs, cavistes, restaurateurs, et beaucoup de particuliers viennent chez nous. Pour certains produits, on est obligés de prendre ses cartons, d'aller faire goûter les échantillons, et lorsque moi, Ardéchois, je me retrouve à Lyon ou à Paris, je ressemble à un citoyen normal. Mais quand les gens viennent en Ardèche, chez nous dans nos Cévennes, sur nos terrasses, on leur fait visiter les vignes et ils voient nos chatus,  constatent dans quel contexte on travaille. On ne leur montre pas de cartes postales, ils voient tout par eux-mêmes. Et je souhaite à tout le monde d'avoir la même expérience, tous les vignerons de France et de Navarre ! Il n'y en a pas beaucoup qui sont ainsi !

Quelle est votre formation ?
CR : Un BTS viti-oeno [viticulture-œnologie], une licence en sciences de la vigne et un diplôme national d'œnologie.

Est-ce à dire que pour les vignerons, à présent, un savoir est nécessaire en plus d'un savoir-faire, qui n'est plus traditionnellement transmis en famille ?
CR : Mon grand-père, comme tout le monde ici, faisait son vin chez lui ; après l'organisation de la coopération, en 1939 pour la cave de Rosières, on est rentré en cave coopérative, on a perdu un peu, la génération de mon père, le savoir-faire de la vinification, comme ma génération, malheureusement; il y a quelques jeunes qui font des études, mais ils ne vinifient pas, n'ont pas appris à vinifier, ce qui, à mon avis, manque. Moi, après mes études, je suis allé compléter ma formation dans un autre domaine, je suis allé prendre du savoir d'anciens que je n'avais plus chez moi : j'ai été maître de chais dans un domaine à Condrieu.  C'est vrai qu'en matière de formation, il y a une progression. Et puis en Ardèche, on progresse beaucoup par l'observation. Il y a une saine émulation. En ce moment, on est sur une bonne dynamique, on a eu quelques déboires climato, on a eu la grêle l'année dernière, le gel, depuis deux trois ans on a, je dirai, beaucoup subi, mais on a toujours l'élan. Et le chatus vient nous motiver.

A la dégustation, comment se présente le chatus ?
De quels crus peut-on le rapprocher ?
CR : Il ne ressemble à rien, puisqu'il est lui-même ! Le chatus offre une bonne structure tannique, des parfums de nèfle, de poivre blanc, de griotte, un éventail de parfums impressionnant, et une très grande longueur en bouche. Au point de vue puissance, c'est très particulier, on a souvent des nez qui ont des parfums proches des parfums d'eau-de-vie, eau-de-vie de prune, par exemple, avec une puissance qui est impressionnante par rapport à d'autres cépages que je connais : avec le pinot, la syrah, le cabernet ou le merlot, on n'a pas cette puissance aromatique au nez.

Qu'en pensent les vignerons d'autres régions ?
CR : Avec mes collègues de promotion, on se retrouve de temps en temps, on fait une belle tablée, il y a beaucoup de bouteilles sur la table, on en goûte beaucoup, on en finit peu parce qu'il y en a trop, mais on se fait plaisir ! Ce sont mes meilleurs juges, mes meilleurs critiques, on accepte les critiques des collègues et d'autant plus les compliments : ils connaissent la dureté du métier. Ce sont eux, les collègues vignerons et les amis non vignerons, mes classards, qui me font avancer.

Pour vous, la politique actuelle est de miser sur la qualité du produit et une reconnaissance de bouche à oreille plus qu'une A.O.C. ou des labels très visibles ?
CR : Oui. Mais une A.O.C., symboliquement, ce serait bien. Cela marque une génération, cela marque une démarche. La reconnaissance, on l'a déjà. Mais peut-être que l'appellation nous inscrirait dans un cadre qualitatif encore plus rigoureux, et que l'I.N.A.O. nous aiderait à raffiner encore plus notre produit.

Contact: Cave coopérative viticole, 07260 Rosières, tél.: 04 75 39 52 09
Voir également Les vins mythiques de F.Couderc à notre rubrique Notes de lecture

Ph.: Les membres du syndicat des producteurs de chatus dans leur cave.
Christophe Reynouard est au premier plan à droite
©Syndicat des producteurs de chatus, Rosières