Petites histoires de gâteaux

par Nathalie Demichel

Quelques grammes de sucre, de farine et d'œufs peuvent receler des trésors d'histoires, des mines de sens. Ainsi, il est bien connu que certaines pâtisseries parmi les plus célèbres ont une origine historique. Le Paris-Brest fut créé en 1891, en l'honneur de la première course de vélo de Paris à Brest. Le pain de Gênes italien (riche en amandes) rappelle le siège de la ville par Masséna en 1800, pendant lequel, pour survivre, les habitants mangèrent un stock de 50 tonnes d'amandes. Quant à votre  croissant du matin, il est né pour célébrer la défaite en 1683 des troupes turques devant Vienne. L'alarme avait été donnée alors par un boulanger resté éveillé pour cuire son pain.

Mais plus qu'une signification historique, les gâteaux ont une dimension symbolique et culturelle que l'on a le plus souvent oubliée, mais, qui, pendant des siècles a été très importante dans toute l'Europe, et existe, encore maintenant, dans les régions qui sont restées proches de leurs traditions comme la Grèce ou les pays d'Europe Centrale. Ces gâteaux là rythment le calendrier et les grands moments de la vie des hommes. Ainsi, le 2 novembre, en Sicile et dans l'Italie du Sud on fête les morts. Les gâteaux réalisés à cette occasion sont en forme de squelettes, de crânes, d'anges, d'os. En Belgique, pour le 6 décembre, jour de la Saint-Nicolas, grand protecteur des enfants, on fabrique des pains d'épices, ainsi que des spéculoos (sablés à la cannelle) reproduisant la silhouette du saint. La période de Noël est particulièrement riche en gâteaux de toutes sortes. Lors du solstice d'hiver, les jours sont glacés et sombre, la végétation est morte, on a alors l'envie de célébrer la lumière, la fertilité et l'abondance par des pâtisseries spéciales. En Suède, le 13  décembre, on fête Sainte Lucie avec la Lussekatter, et en Sicile, le occhi di Santa Lucia (les yeux de Sainte-Lucie) est un gâteau porte-bonheur rappelant le martyr de la sainte. Le houx, le lierre, le sapin sont encore verts, on les utilise pour fêter la continuité de la végétation et les gâteaux à base de grains symbolisent alors les récoltes futures. La pasteria de Naples est faite avec les grains de blé, de même pour la koutia russe. Lors de Noël, beaucoup de gâteaux sont composés d'épices et de fruits secs. On les prépare à l'avance; on les offre ou on en décore le sapin. Leurs formes sont des messages : le cochon est signe de prospérité, la colombe de paix, les cœurs, les étoiles, les soleils et les lunes se réfèrent à des cultes païens. De même, les petits bonhommes symbolisent l'année écoulée et le poupon, Jésus.

La période qui suit Noël est dominée par les gaufres, beignets et galettes dans lesquelles parfois, on glisse vœux et présages pour la nouvelle année. La fève de la galette des rois portera chance à celui qui la trouve. Le pièce tenue dans la main de celui qui fait sauter une crêpe lui apportera la richesse. Avant Pâques, la période de Carême est de quarante jours. Les bretzels faits sans lait, ni beurre, ni œufs, ni sucre sont de rigueur. Les jours précédant le début du Carême sont des jours gras où tous les excès sont permis. En Suisse, on fabrique alors des beignets nommés "Cuisses-Dame" et en Belgique certains sont appelés "couilles de suisse". La Semaine Sainte se passe dans un climat d'effervescence, surtout dans les pays orthodoxes. On commence à préparer les gâteaux de Pâques, qui exigent un véritable cérémonial, tant les recettes sont complexes, et qui sont particulièrement riches en œufs, à nouveau autorisés et symboles de vie (la cassata en Italie, la paskha en Russie, l'ostkaka en Suède, la pasca en Roumanie, etc...). Le décor est souvent lui aussi symbolique (l'agneau, les 11 boules pour les 11 apôtres sur le Sinnel cake anglais, etc...). Dès le Moyen-Age, lors des pèlerinages et des processions des gâteaux étaient spécialement préparés, décorés de sujets religieux, puis bénis et partagés. Certains constituaient des souvenirs que l'on gardait une fois rentré chez soi. Chaque grand saint avait son gâteau, comme le pain de Sainte Agathe (en forme de seins), les clés de Saint Pierre ou les rissoles de Saint Joseph qui subsistent encore. Les étapes les plus importantes de la vie sont également marquées par des gâteaux. Les exemples abondent. Lors d'une naissance le gâteau offert à la jeune mère est parfois en forme de poupon emmailloté. A l'occasion de fiançailles, le jeune homme peut offrir à la jeune fille un pain d'épices où une image collée reproduit un message d'amour. La tradition du gâteau de mariage, spectaculaire par sa taille et sa décoration, est particulièrement vivace. On le charge de symboles de ce qui est souhaité au couple (fécondité, fidélité, harmonie, prospérité). En Crète et en Sardaigne, les couronnes et les galettes de mariage sont des chefs-d'œuvre en pâte à pain ornés de colombes. Bouclons le cycle avec le pain des morts,  traditionnel en Europe Centrale. En Espagne, c'est le gâteau à la châtaigne qui est servi lors des repas mortuaires en raison de sa couleur terne. Comme on le voit, chaque événement avait son gâteau au travers duquel les peurs et les espoirs les plus profonds s'exprimaient, comme pour conjurer le mauvais sort et attirer sur soi et ses proches la félicité.

Cet aspect symbolique est évoqué de façon extrêmement intéressante dans une exposition, intitulée "Le diable sucré - gâteaux, cannibalisme, mort et fécondité". Celle-ci présente le fruit du travail de l'ethnologue Christine Armengaud sur les gâteaux figuratifs. Pour monter une telle exposition, Christine Armengaud a parcouru l'Europe entière afin de recueillir ces traditions pâtissières populaires aujourd'hui menacées de disparition et a mis en lumière les croyances, les rites, les modes de vie liés à ces gâteaux. Etonnant.

Exposition du 10 octobre au 28 janvier au Pavillon Paul Delouvrier du Parce de la Villette.
Renseignements : 01 40 03 75 75
www.lavillette.com