Le coton et la mode,
1000 ans d'aventures

 par Odile Blanc

Alors que la précédente exposition du musée Galliera, Mutations/Mode*, s'attachait à l'étude des fibres et des textiles contemporains du point de vue de leurs usages dans la création vestimentaire, celle-ci est dédiée à l'emploi du coton dans la mode et la décoration intérieure en Europe, du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle. Aventure, le mot n'est pas trop fort pour une fibre qui suscita une véritable fascination et dont l'engouement, quelque peu oublié, n'a rien a envier à celui de la soie. Plus de deux cent pièces présentées suivant un parcours chronologique
qui fait la part belle au XVIIIe siècle,
avec des tentures indiennes et européennes offertes en un somptueux ensemble au visiteur, mais aussi de nombreuses pièces de costumes, des textiles "archéologiques" rares, en nombre évidemment plus restreint, des créations contemporaines, le tout disposé sans souci scénographique à proprement parler, dans un espace assez réduit pour accueillir une telle diversité.

L'histoire du coton commence dans la vallée de l'Indus dès le IIIe millénaire avant Jésus-Christ. Un autre foyer de culture, encore plus ancien, se trouve au centre de la côte péruvienne où la production des étoffes de coton atteint son apogée sous l'empire inca. En témoigne cette merveilleuse chemise d'enfant en mousseline aérienne, ornée de galons de tapisserie multicolores, datant d'une période comprise entre le XIe et le XVe siècle.
C'est l'Islam qui a transmis le mot "coton" à l'Occident, et c'est à l'époque musulmane, entre VIIIe et XIe siècle, que la culture du coton atteint le bassin méditerranéen jusqu'à l'Europe. L'Egypte l'emploie pour des vêtements tricotés au point de jersey et ornés de motifs jacquard, ainsi que pour des étoffes au décor tissé complexe telles ces doubles-étoffes de la période mamelouke, aux XIVe et XVe siècles. La prédominance du bleu et du blanc, dans les pièces présentées, doit sans doute beaucoup aux toiles de coton imprimées à la réserve et teintes à l'indigo, fabriquées en Inde — où elles ont leur origine — et découvertes sur des sites archéologiques égyptiens, qui attestent la vigueur des échanges commerciaux en Méditerranée.
En Europe, le coton est d'abord employé en rembourrage de vêtements. L'habit attribué à Charles de Blois et conservé au musée des Tissus de Lyon, comme celui conservé à la cathédrale de Chartres, sont deux témoins exceptionnels de ces vêtements d'origine militaire, rembourrés et piqués — d'où leur nom de pourpoints, néanmoins pas toujours aussi luxueux — qui suscitèrent un véritable engouement parmi la jeunesse masculine du XIVe siècle. Mélangé à du lin ou parfois de la laine, le coton donne naissance aux futaines, étoffes simples et légères qui se développent durant tout le Moyen Age dans les garde-robes comme l'ameublement et les ornements liturgiques. En témoignent ces futaines imprimées à la planche de bois reprenant le motif à la grenade, si répandu aux XVe et XVIe siècles.

Le moment où l'Europe développe les techniques de décors imprimés à la planche de bois puis de cuivre coïncide avec celui où s'organisent les Compagnies des Indes. Les Portugais, les premiers, ont familiarisé l'Europe avec les pintadoes, "toiles peintes", "indiennes" ou encore "perses" qui désignent aussi bien les étoffes fabriquées en Inde, tels ces somptueux palempores aux couleurs intenses et inaltérables, peints, teints et imprimés, que les imitations européennes. Au cours du XVIIe siècle les indiennes s'introduisent dans l'habillement, d'abord dans les tenues d'intérieur de l'aristocratie que sont les robes de chambre. Le 26 octobre 1686, la France interdit de porter, vendre et acheter des toiles peintes, prétextant la protection des manufactures traditionnelles de soie et de laine. S'ensuivent 73 années de prohibition, chapitre étonnant de l'histoire de France, qui n'interrompirent en rien la consommation et révélèrent un rouage essentiel de la mode: le facteur d'imitation.
Au XVIIIe siècle, les avancées technologiques se multiplient dans le domaine de la filature du coton, grâce aux recherches anglaises, comme dans celui du tissage et de la coloration des étoffes, remarquablement représentée par le rapport du capitaine de vaisseau Antoine de Beaulieu (1734), et le Traité sur la fabrication et le commerce des toiles peintes du suisse Jean Ryhiner, commencé en 1766 et poursuivi durant 15 ans. La mécanisation accroît la production, encourageant la demande d'articles tout coton accessibles à un plus grand nombre. En France, la levée de la prohibition en 1759 voit la création de manufactures en Normandie, Ile-de-France, Alsace, Dauphiné et région marseillaise. A Jouy-en-Josas la manufacture d'Oberkampf, intallée en 1760, fournit la garde-robe royale et en particulier celle de Marie-Antoinette. A Rouen ce sont les "siamoises", toiles de coton et lin brochées de laine à l'imitation des soieries, à Montpellier les "basins", très appréciés pour les gilets d'hommes, qui deviennent à la mode. Les mousselines font fureur dans la lingerie et les accessoires, les garnitures de chemises, les cravates, les manchettes et les fichus. Les calicots, percales, organdis, imprègnent définitivement le vocabulaire textile. Par ailleurs le vocabulaire ornemental des toiles peintes s'affirme, notamment avec les créations d'Oberkampf dont les toiles à personnages, les motifs végétaux, les sujets ruraux ou mythologiques seront inlassablement repris jusqu'à nos jours.

L'aventure du coton se poursuit aujourd'hui, avec la présentation des oeuvres des maisons Braquenié, Charles Burger et Georges Le Manach, et les singulières créations de Rosenda Arcioni Meer (vêtements de mousseline), Ysabel de Maisonneuve (teinture à réserve) et Brigitte Singh (impression à la planche de bois).

Musée Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris
Jusqu'au 11 mars 2001
www.mairie-paris.fr/musees