Solitude au Musée

Par Christine Boyer

Solitude? Le titre de l'exposition hivernale du musée d'art moderne prête à confusion, mais pas longtemps! Sitôt rentrés dans ce beau musée, les amateurs d'art ou initiés, sont attirés par une voix masculine et monocorde qui dit Bonjour…L'on s'approche, à la fois rebuté et aspiré: La voix est aussi un visage; son et image; la vidéo! Du siècle passé, passé composé, imparfaite, plus que parfaite; composons avec notre XXIème siècle, écoutons, regardons, nous ne sommes pas seuls. Nous sommes invités à pénétrer dans l'univers  de la création de 17 artistes
de l'Akademie Schloss Solitude.

Cette "Académie" se situe à Stuttgart dans les surprenants bâtiments d'une "folie" du dix huitième siècle; lieu incroyable où se côtoient tradition et modernité( je me souviens du choc émotionnel ressenti tant dans le parc et les abords du château  que par ce qui se vivait intra muros.)
Cette institution internationale est dirigée par un français actif et dynamique, Jean Baptiste Joly, et accueille des artistes du monde entier, pensionnés entre six et dix huit mois; .Une sorte de Villa Médicis contemporaine, en Allemagne, au cœur de la vie, à la pointe de la création, de l'imagination, de la conception. Cette pépinière d'artistes recense les disciplines suivantes: architecture, arts visuels, arts de la scène, design, littérature, musique, vidéo-film et nouveaux médias.

L'exposition du musée de Saint Etienne est une expérience tentée par les conservateurs du MAM
et de la Staatsgalerie de Stuttgart qui nous présentent  dix sept artistes pensionnaires de l'Akadémie presque tous venus installer eux-mêmes leur travail in situ; Allemands, Suisses, Russes, Français, Américains, Irlandais, Anglais, Canadiens…
Fourmillement d'idées, magie de la création,( humilité  de l'admirateur silencieux)…

Solitude au Musée! Il est vrai que l'on est parfois solitaire face à l'art contemporain. Jean Baptiste Joly ne dit-il pas lui même que "savoir apprécier l'art contemporain n'a rien d'inné". Les artistes présents ici nous proposent, avec le support de technologies nouvelles (vidéo, informatique, Internet, web-cam) ou traditionnelles, (peinture, dessin, gravure) un questionnement sur la vie et la société moderne.

Rentrons dans l'exposition, Nicolas Fernandez (Suisse, 1968) nous ouvre la voie avec une vidéo au discours volontairement provocateur sur l'idée du travail; Nous le retrouverons plus loin avec ses montages photo d'images trouvées sur Internet. Serge Comte (France, 1966), un Rhône Alpin(!)montre diverses techniques  et beaucoup d'humour doublé de savoir-faire,
des œuvres originales à partir de Post-it (fabuleux "Blank", carré noir sur fond blanc, hommage à Malévitch peut-être…), de lego (le"Toi & Moi" se contemple de face ou de dos, et l'on se demande bien sûr qui porte le chapeau, chapeau!). "L'Idiot du village" se présente à nous en transparence derrière une mosaïque de boîtiers de disquettes; l'artiste est aussi le roi du pixel, il en revêt ses "délicieuses Pucelles".

Christine Meierofer (Allemagne, 1966) sympathique et grande jeune femme, manie la ligne et règne sur l'espace ou les contours de l'architecture avec sa baguette magique: le moniteur, fidèle compagnon, retrace pour nous les lignes blanches des angles de la salle où nous nous trouvons, pourvu que nous soyons installés au centre de "Tested and Approved"!Ingénieuse ingénieur, artiste de l'écran.

Simon Lamuniere (Suisse, 1961) le bavard dont on  vous parlait tout au début, nous confronte avec un Autre imaginaire dans des situations diverses: assemblée générale ou situation de dire "Bonjour à tous et à toutes"

Avec Betsy Kaufman (U.S.A., 1957), nous abordons la subtilité, la virtuosité, le rythme, l'ordre, par la création d'effets  aussi bien perspectifs que de matières superbes avec ses acryliques sur toiles ou aquarelles sur papier. Impressionnant de précision, pinceau virtuose et modeste à la fois, ordre et beauté.

Les deux séries de François Joseph Chabrillat ( France, 1960), ne peuvent nous laisser indifférents tant la réalité plastique, pétrie d'un savoir-faire séculaire, est inscrite dans une logique d'ornement; cet Auvergnat n'est pas avare de rigueur, de profondeur lorsqu'il grave le carton comme les grands maîtres d'antan avec des procédés  qui n'appartiennent qu'à lui. Voir et revoir ses somptueuses séries "Winnetou" et "Aus Prinzip" de toute urgence! On ne peut pas s'empêcher de regarder ce qu'il nous montre, serait-on tenté de répondre à l'artiste qui "ne peut s'empêcher de montrer".

Dominique Lämmli (Suisse, 1964), dégage une personnalité sur ses "lambda chromes" dont  nous ignorons les frontières entre le dessin, l'image digitale, la peinture, l'estampe. Monde étrange, imprévisible et irrationnel sur "Aludibond".
Dans la salle du fond, nous découvrons Pavel Pepperstein (1965, Russie), qui nous égare, par de très beaux dessins, dans  une notion de correspondances multiples, et une mise en abîme de références culturelles. Notre préférence va vers "les dormeurs", acrylique sur toile, fond rouge…

Stephen Waddel ( Canada, 1968)  utilise la photo comme la mémoire, l'archive ou l'esquisse de ses peintures; ses tableaux rappellent le style de Manet, ( Le Fifre, par exemple…)
Notion d'énigme, encore, avec Teresa Hubbard et Alexander Birchler
(Irlande, 1965 & Suisse, 1962 ) qui à travers la vidéo et la photo simultanément, racontent l'histoire de Gregor, un homme seul dans une pièce presque vide. Séquences d'une vie, inspiration kafkaïenne des Métamorphoses bien sûr; les photos, en diptyques, sont d'une qualité extraordinaire.

Le Groupe A ¨12 & Andrea di Rossa (Italie) regroupe des artistes, des architectes, des ingénieurs, des programmateurs et des informaticiens qui, par le même outil de travail, tentent  d'établir une sorte de glossaire de l'architecture de la ville. Ils proposent deux programmes en parallèle: une réflexion sur la Ville et sur la Ville au Musée. Vaste programme!

Gordon Shrigley (Angleterre, 1964 ) ne se raconte pas, il faut aller scruter ses dessins d'architecture pour rejoindre l'auteur de cette réflexion:"Dessiner, c'est rêver avec le trait" Poussin ou Ingres n'auraient pas dit mieux…

Karin Sander (Allemagne, 1957) a choisi de ne pas présenter son travail d'artiste, mais plutôt celui d'autres qu'elle a sélectionnés en sa qualité de jurée pour le 10ème anniversaire de l'Akademie Schloss Solitude; seize artistes de tous horizons  ont voyagé jusqu'à Saint Etienne au M.A.M. grâce à elle.

Philip Pocock (Canada, 1965) avec trois autres artistes informaticiens prennent le spectateur en otage virtuel et réel pour un petit tour sur le web; amis surfeurs, à vous de décider!
Enfin, passons par l'alcôve assez sonore de Ute Friederike Jurss (Allemagne, 1962 )pour "voir" des fragments de dialogue enregistrés dans le métro de New York, redits par la voix de UTE, projetés sur écran, traduits par des diagrammes et des signaux optiques aux couleurs R.V.B. Se sont les Nouveaux Médias; et patati et patata, c'est fou ce que l'on peut dire dans le métro!

Reste Wiebke Siem (Allemagne, 1954), une Berlinoise du mouvement "nouvelle sculpture" qui nous trouble avec des meubles rustiques de style bavarois et des mannequins couverts de vêtements folkloriques (raffinés !) dont on ne sait plus ce qu'ils font ici au milieu des multi-médias; Le décalage se crée donc entre l'objet et sa fonction muséale.

Parcours, créatif et stimulant, parfois dérangeant, jamais décevant.

Solitude au Musée
Jusqu'au 26 mars 2001
Musée d'Art Moderne de Saint Etienne
Tel : 04 77 79 52 52

1) S. Comte
2) T. Hubbard / A. Birchler
3) Ch. Meierhofer
4) S. Lamunière