Zingaro, la danse des chevaux

Par Gallia Valette Pilenko

Triptyk emmène le spectateur dans un univers poétique et onirique. Où le cheval est constamment présent mais parfois dans l'absence, comme un écho à la disparition
du cheval fétiche du maître Bartabas.
Il fait très sombre dans le chapiteau.
Un lourd nuage de fumée flotte au dessus de l'arène, couverte d'une terre rouge et grasse. Les effluves d'encens chatouillent l'odorat
du spectateur. On a l'impression d'entrer dans un vieux temple oublié pour assister à une cérémonie secrète venue du fond des âges.

Et c'est évident qu'il y a quelque chose de cet ordre dans la dernière pièce du Théâtre équestre Zingaro. Et même si tous les spectacles de Bartabas procèdent du rituel, celui-là le revendique haut et fort. Tout d'abord par le choix de la musique, européenne et savante, de Stravinsky, qui tranche avec les précédentes. Ce n'est pas par hasard qu'il a choisi Le sacre du printemps et la Symphonie des psaumes et, pour les relier Le dialogue de l'ombre double de Pierre Boulez comme un contrepoint minimaliste aux orchestrations fulgurantes du compositeur russe. Pour réunir dans un même élan la beauté sauvage du païen et la légèreté céleste du chrétien.

Construit en 3 parties (comme son nom l'indique) Triptyk met en scène une humanité rampante dominée par des chevaux, qui seraient les êtres civilisés. Où l'humain tendrait à s'élever sans vraiment y parvenir. A l'inverse de ces juments immaculées qui s'ébattent librement, se mordillent et se roulent dans la terre, sans doute le moment le plus magique du spectacle, où l'on perçoit la précision du travail effectué par Bartabas. La deuxième partie va désespérer les spectateurs venus pour les chevaux, il n'y en a pas (une première chez Bartabas). Et d'ailleurs cette séquence sur la partition de Boulez, si elle n'emporte pas forcément l'adhésion, force l'admiration.

Il faut une bonne dose de courage pour imposer à un public venu voir des cabrioles chevalines, 20 minutes de danse contemporaine sur une composition musicale aussi ardue. Un duo masculin/féminin au milieu de sculptures réalisées par Jean-Louis Sauvat, bustes de chevaux qui ressemblent à des squelettes fossilisés. Puis les danseurs font place à des princesses de légende aux robes soyeuses et crissantes montées sur leurs haquenées blanches. Elles dessinent des arabesques, entrelacs et rosaces qui forment des volutes d'une fumée imaginaire, invitant le spectateur à continuer son rêve éveillé.

Ceux qui ne sont pas sensibles à la symbolique développée ("le conflit entre les deux forces primordiales de la vie, la barbarie et la spiritualité") resteront sur leur faim et les amateurs de prouesses équestres spectaculaires aussi.

TRIPTYK par le Théâtre équestre Zingaro au Centre de Loisirs sports équestres, Parc de Miribel-Jonage, jusqu'au 13 mai