Monica Bonvicini
L'architecture au féminin

Par Hauviette Bethemont

Monica Bonvicini travaille sur le corps de l'architecture. Cette jeune italienne, qui a poursuivi ses études à Los Angeles, déconstruit à coup d'images et de mise
en scène une érection bétonnière.

L'architecture a longtemps été enseigné
en France au sein même des écoles d'art. C'était alors une discipline reine, la plus noble des conquêtes de l'esprit. Symboliquement importante donc,
son territoire a longtemps été protégé de toute intrusion de la gente féminine. On oublie en se promenant dans les villes, on oublie en cherchant aussi l'ombre au pied d'un grand bâtiment, toute la force de représentation sociale qui se cache d'ordinaire derrière l'élévation des murs.

Le travail de Monica Bonvicini n'a d'autres
buts que de réveiller nos sens critiques,
de nous révéler avec violence l'emprise
et l'empreinte du pouvoir qui se dessine à l'intérieur du cadre architectural. Monter un mur, c'est s'offrir une érection qui perdure
dans le temps, on en revient avec elle à la base, à savoir l'inscription du corps masculin dans
ses constructions formelles. Dans un univers entièrement pensé par l'homme, que peut bien faire une femme, si ce n'est s'y accrocher, s'y accouder, s'y perdre et s'y faire désirer ? Monica Bonvicini utilise des raccourcis cruels, et met en scène avec violence l'organisation du social, la conjugaison sans fin au masculin du décor. Elle fonce tête baissé sur les murs et ce au sens littéral du terme. Dans ses vidéos, on peut la voir assassiner à coup de massue les élévations, ou encore comme une désespérée, une petite maison en guise de masque, se cogner longuement contre les parois blanches. Tout ce qui était de l'ordre du non-dit revient avec elle dans le champ du réel. Elle remonte toute l'histoire, la petite et la grande, et croise les ouvriers du bâtiment comme les grands architectes. De l'un à l'autre, elle laisser filer du sens, de l'érotisme , du sexe, du pouvoir. Au Magasin, elle a installer des espaces, des reflets de construction réduites à leur plus simples expressions, quatre murs, un sol, qu'elle a pris soin de détruire un peu, à peine, effleurer dirions-nous par la douleur. Et comme dans de tristes latrines publiques, elle a graphité des obscénités où les sexes bien durs jouent le rôle de murs porteurs, chaque dessin s'accompagne d'un texte qui est à l'inverse très correctement calligraphié. Une forme littéraire qui correspond à des extraits de textes. Il s'agit en fait de citations, puisées dans les écrits des pères de l'architecture. Bien entendu chacune renvoie à cette vision magnifiée de la construction. Ici bâtir devient le reflet d'une pensée, d'une société, un frisson de sacré qui exclu totalement es femmes. Les propositions de Monica Bonvicini fonctionnent toujours comme des dazibaos visuels, elle va au plus simple, offre une "joke", une histoire courte et drôle qui permet à tous de percuter de façon immédiate.

Avec l'efficacité d'une image publicitaire, elle détourne les façades des grands buildings, accrochant en taille réelle des ouvriers calibrés comme des mannequins. Tout se disloque entre ses mains critiques de la hiérarchie à la discipline, en passant par le pouvoir phallique. Chaque sculpture, chaque installation décortique et met à nu les rouages, s'offrant le luxe au passage
de glisser ici et là, une émotion qui émerge de la matière. Dans la pièce Destroy she said, l'artiste évoque le rapport du corps des femmes à l'architecture. un superbe montage fait à partir de film nous montre de fragiles, désespérées, superbes images de stars féminines. Collées contre les murs, soutenues dans le cadre par l'architecture, elles affrontent ou tombent sous le coup des lignes verticales. Reste la prégnance des visages, aussi beau que ceux de martyres qui garderaient en permanence la grâce du drame.

Monica Bonvicini donne de la chair aux silences de l'architecture, dans un autre travail, elle nous propose ainsi, les résultats d'un questionnaire décapant rempli par des ouvriers sur un chantier. La question est de savoir comment ils se perçoivent, comment ils projettent leur corps et leur statut à l'intérieur de leur travail et dans leur vie privée. Si les réponses sont parfois de vrais gags, derrière le rire, on pressent que rode toujours l'inquiétante définition de la relation aux autres au travers d'un tamis codifié. Entre humour et violence , la jeune artiste parvient à mettre en place des dispositifs visuels qui font éclater de la résistance à fleur de peau.

Au magasin Site Bouchayer-Viallet 155 cours Berriat Grenoble 04 76 21 95 84.
Jusqu'au 2 septembre.

photos : Courtoisie Galerie Mehdi Chouakri, Berlin