Marais salaces

Par Christian Soleil.

Le nouveau roman de Michel Durafour, l'ancien ministre et député-maire de Saint-Etienne, vient de sortir aux éditions Salvy. Un polar parfaitement ficelé qui mêle sexe, sang et argent dans un portrait sans concession de notre société.

Michel Durafour publie aux éditions Salvy, dans la collection Noire, un nouveau roman à donner des frissons, Marais salaces. L'ancien ministre de Valéry Giscard d'Estaing et de François Mitterrand revient sur le devant de la scène en renouant avec ses premières amours pour la littérature. Car les inattentifs l'auront peut-être oublié, mais l'ancien ministre a déjà beaucoup publié dans les genres les plus divers. Lauréat du prix du roman d'aventures, best-seller en Angleterre et aux Etats-Unis avec notamment Bettina, il reprend la plume pour un récit cru et intense, à la parfaite mécanique de suspense.

Au-delà du polar efficace, un genre que Durafour maîtrise depuis les années soixante où il collaborait avec Charles Exbrayat à la collection Le Masque, Marais salaces est un roman provocant et volontiers scandaleux. Celui qui confiait au Président de la République Jacques Chirac, lors de la récente visite de ce dernier à Saint-Étienne, au moment où il lui demandait de ses nouvelles : "On ne peut pas être et avoir été. J'ai choisi de ne plus être", semble bien ici se contredire, à moins que l'on n'écrive des livres pour faire semblant d'avoir été, auquel cas Marais salaces serait le négatif d'un sentiment de vide proche du trou noir…
Michel Durafour indubitablement a pris du plaisir à la construction de cette histoire dont la mécanique est parfaitement huilée. Aussi imparable qu'une stratégie politique pour conquérir un portefeuille ministériel. Le thème tient en quelques mots : quatre crimes brutaux. Coup sur coup. Un juge et un commissaire aux méthodes opposées, conflictuelles. Une énigme sans faille, entre affaires, politique et mœurs.

Le cocktail se révèle volontiers explosif : à faire se frotter les mains tout éditeur digne de ce nom : un zeste d'inceste, une dose de porno, un brin de sodomie, il y a décidément beaucoup de chair, de sexes en érection, de glands violacés, de cuisses écartées, de jeux sexuels qui se reflètent dans les miroirs. Les scènes de sexe sont décrites avec une précision chirurgicale. Il faut chercher l'émotion entre les lignes. Mais c'est comme dans le marais poitevin où la brume qui monte du sol vient voiler la vue : rien n'est si simple. Et derrière le sordide d'une société pourrissante sur laquelle Michel Durafour porte un regard sans pardon, le regard indifférent du sage, il y a, bien sûr, des hommes et des femmes, des êtres qui souffrent et qui mènent leur vie sur le mode de la passion exacerbée.

Michel Durafour plonge ici au cœur d'un labyrinthe de désirs et de pulsions. Il s'en faut de peu que ses personnages ne se transforment en pantins désarticulés et déshumanisés. Il semble se délecter de leurs difficultés et de leurs angoisses, comme un enfant prendrait plaisir à torturer des insectes. Mais non. Tel Fabre, il se contente de les regarder vivre, intervenant le moins possible pour ne pas déranger l'ordre des choses. Et il les sauve d'un trait, d'une phrase, d'un mot, d'un regard toujours empreint de tendresse sur les erreurs de ce monde. Paradoxalement, Michel Durafour se révèle un véritable humaniste au travers cet ouvrage, dans sa capacité à saisir la profondeur des êtres, les raisons profondes de leurs actes, les scénarios de vie qui les guident et les embrigadent.

Entre la faune dévorée par ses passions, et la rigueur, pour ne pas dire la rigidité, de la juge qui essaye d'y voir clair dans la brume, on ne saurait trop dire vers qui vont les sympathies de Michel Durafour. Sans doute le parcours de vie de l'ancien ministre l'incite-t-il à dépasser le contraste et à voir à quel point les éléments contraires se répondent, à quel point la société pourrissante a besoin de la rigueur d'une justice aveugle, et vice-versa. A quel point l'inconscient a besoin d'un surmoi, aussi, et à quel point tout être libre a besoin de repères pour ne pas sombrer dans les pulsions les plus néfastes. Mais rien n'est sûr avant la dernière page. Et tout reste possible et ouvert jusqu'au mot : FIN.