Le cuir,
son histoire et son univers (parfois impitoyable)… par Florence Charpigny Cuir ! Quelle multiplicité d'images s'attachent
au mot ! Il y a le cuir du blouson et des bottes de moto, mais aussi du harnachement du destrier… La Toison d'or et le parchemin, la gourde du soldat et la chaussure de Marlène,
le cuir de Cordoue en tenture et la robe de peau de bison du chef Sioux Black Rock… Autrement dit une matière, une texture quasi universelle à la rencontre de laquelle nous convie Eva Halasz Csiba. Professeur au lycée
d'Alembert, à Paris, où elle enseigne l'esthétique appliquée aux métiers du cuir, historienne de l'art et anthropologue, elle développe son savoir
pluridisciplinaire dans un ouvrage qui s'attache à saisir l'objet cuir dans sa complexité et sa complétude. Structuré en trois sections où la chronologie est transversale, l'ouvrage explore
en premier lieu les aspects matériels, techniques et symboliques du cuir, "de la peau au cuir", et révèle une troublante dualité : quelle que soit l'époque, quelle
que soit la civilisation, pour obtenir du cuir, il faut tuer la peau, sacrifier l'animal ; pour obtenir la matière souple et réactive, il faut dépouiller la bête, putréfier
l'eau pour purifier la matière dans une succession d'opérations aussi symboliques que techniques. Et cette même matière dûment traitée revêt, tout
aussi métaphoriquement que matériellement, deux faces : la fourrure luxueuse et l'humble pelleterie, dont l'auteur développe largement la symbolique médiévale.
Puis Eva Halasz Csiba visite, dans une seconde partie particulièrement nourrie, l'univers du cuir, de la gamme excessivement large et variée de produits qu'il
permet de fabriquer pour l'habitat, l'habillement, les objets domestiques ou de voyage, le mobilier de luxe, les usages liturgiques, l'agriculture puis l'industrie…
jusqu'aux métiers que ces fabrications ont fait naître, du cordouannier médiéval au gantier du XIXe occidental en passant par l'éventailliste, tous ces objets
représentant, l'auteur le fait remarquer comme en passant, des valeurs plutôt féminines. Et de leur opposer derechef les connotations masculines du cuir,
matériau d'un arsenal guerrier utilisé dès l'Antiquité : cuirasse, casque, jambières, cartouchières et autres boucliers. Mais à cette protection s'en ajoute
au fil du temps une autre, d'une nature plus subtile : le masque de cuir de la commedia dell'arte, obtenu à partir de cuir bouilli, technique particulièrement
utilisée pour le décor de mobilier et d'objets. L'auteur lui consacre un riche chapitre, tout comme à son contrepoint (encore un), le cuir arachnéen du parchemin et du galuchat.
Une dernière partie aborde le cuir dans sa modernité, dans les évolutions de son traitement industriel et ses usages contemporains, du vêtement de
haute-couture à l'uniforme rock'n roll, de la fourrure, obscur objet du désir, au cuir unisexe, entre humour et glamour. "Etrange retour aux origines, conclut
l'auteur. Lorsque de nos jours, les membres de la bonne société s'amusent encore à se déguiser à coups de blousons de cuir, en voyous de luxe dans des
clubs élitistes, ils rejouent en quelque sorte "la mascarade des courtisans de Charles VI habillés en sauvages velus". On sait comment cette transgression
des tabous a fini : par le "bal des Ardents" de 1393 où les costumes de fourrure ont flambé comme une torche." Au total, c'est une performance que d'éclairer en moins de 200 pages une
question aussi diverse. Un texte sobre qui laisse percer la passion de l'auteur pour son sujet, un format carré original, une présentation raffinée, voilà un beau cadeau à faire… et à se faire. Eva Halasz Csiba,
Le cuir à fleur de peau, Paris, Adam Biro, 2001, collection Textures |