Les peintures de Gérard Traquandi Par Nelly Gabriel Le souvenir de la sensation
Donner forme à un rapport au monde qui témoigne d'une expérience de la réalité sans passer par le réalisme ni tomber dans l'abstraction, voilà l'apparent
paradoxe qui intéresse Gérard Traquandi. Enfin, depuis quelques années, car comme beaucoup de peintres de sa génération (il a cinquante ans), il a commencé par destructurer la peinture, analyser
ses constituants, mettre d'un côté le support, de l'autre la surface. Simplement peindre étant alors considéré comme la dernière des ringardises pour un artiste.
Lassé de ces travaux de décorticage, il a un temps abandonné la pratique picturale pour les fantômes de la photographie. C'était au milieu des années
quatre-vingt. Mais c'était là plus manière de se débarrasser d'une fascination pour ce qu'il considère comme l'"ombre de la réalité". Avec Michel Bertrand,
il expérimentait des procédés tombés en désuétude. Donner une réalité à cette ombre, rendre la photographie à son étymologie (dessin avec la lumière), tel
était l'enjeu. Ce n'est qu'aujourd'hui (alors qu'il ne photographie quasiment plus) qu'il estime le but atteint, grâce à Michel Bertrand, dont les tous récents
tirages d'oeuvres de 1992 le comblent. Ces photographies sont visibles actuellement à la galerie Verney-Carron. Délaissant à son tour la photographie
et sa fabrique de revenants, Gérard Traquandi est retourné à la peinture au milieu des années quatre-vingt-dix. A cette chose que d'aucuns dis(ai)ent morte.  Sans complexe ni culpabilité par rapport à un milieu où il était (où il est encore) alors de convention de
mettre la peinture plus bas que terre, en toute indépendance d'esprit, il a fait choix d'être peintre. Un vrai peintre. Comme Manet, il a pris son art là où on le lui avait laissé, dans sa "crépétitude", prêt à
assumer sa faillite à représenter. Il est même, tradition des traditions, retourné aux genres. La nature morte avec des fleurs et des fruits. Puis, sortant de l'atelier,
allant sur le motif, ou mieux, dans son sujet, s'est intéressé au paysage. Le résultat, on peut le voir au Rectangle et à la galerie Confluence(s).
De grands tableaux. De beaux tableaux. Paysagisme abstrait? On y pense pour certaines œuvres. Abstraction pure et simple? On en est convaincu pour d'autres. Ainsi de cette série de 2001, La grave
, travaillée dans une tonalité de gris bleus où les noirs creusent une profondeur. Dans cet espace non réaliste, non figuratif, l'impression est pourtant au paysage, et même au
paysage romantique allemand. La composition dynamique évoque des forces telluriques, le spectateur a le sentiment de trouées, de plongées, de gouffres, et
son regard est comme à l'aplomb d'un abîme. Dans d'autres toiles, c'est au contraire un rapport frontal qui s'établit entre le plan et le regard. La
composition, plus statique et privée de profondeur avec la disparition du noir, renvoie cette fois, et franchement, à l'idée d'une paroi. Dans d'autres tableaux
encore, la construction des masses colorées n'évoque plus qu'un pur jeu formel entre des couleurs périlleuses parfois: un bleu turquoise, un vert absinthe, un jaune rompu.
Le dessin est important chez l'artiste. Les quelques croquis, aquarelles et pointes sèches, tous et toutes d'une grande économie de moyens exposées au
Rectangle le montrent. Le paysage est rendu là en quelques traits dans ses lignes de forces. "Le dessin", dit Traquandi, "c'est l¹armature mentale de l'œuvre
". Il a fallu du temps pour qu'il l'oublie, le fasse passer au second plan, et qu'il se jette dans la couleur. Le croquis sur le motif, c'est aussi pour
l'artiste une façon d'être contemplatif dans le paysage. Mais marcher, skier, dit-il, sont aussi importants. A présent, il ne fait plus guère de dessins
préparatoires lors de ses randonnées en montagne. Il privilégie le travail de mémoire. La sensation décantée s'y enrichit d'une véritable mémoire synesthésique du moment vécu. Quand la couleur est là, sans le soutien du
dessin, il faut lui chercher des formes. 
S'invente alors toute une géométrie qui n'en est pas une. Une architectonique, plutôt, où les couleurs s'épaulent l'une l'autre. Dans une gestualité large qui relève d'un faire
contemporain ( où coulures et éclaboussures ne sont ni exclues ni recherchées, mais acceptées quand elles se présentent), ou dans une imbrication des formes plus structurée. "Trouver le bon geste pour la
bonne couleur". C'est alors une histoire de peintre, une histoire de tableau. Le paradoxe de Gérard Traquandi, paradoxe qu'il partage avec d'autres peintres d'autres générations, est que la réalité le
retient, qu'elle est à la source de son inspiration, qu'elle est ce qui déclenche en lui le désir du tableau, et que le résultat fleurte bigrement avec l'abstraction.
Le référent réaliste n'est souvent plus qu'un lointain souvenir, dans cet équivalent plastique du souvenir de la sensation qu'est l'oeuvre achevée. Au
début d'une série, explique-t-il, c'est plus figuratif. Au fil du temps, le travail évolue vers quelque chose de plus en plus formel. Quand c'est trop abstrait,
qu'il ne sy reconnaît plus, il retourne au motif. Peintre entre deux héritages, à la croisée du XIXe et de l'action painting, Gérard Traquandi a souci d'"amener
la sensation dans le tableau sans faire entrer tous les autres peintres dans l'atelier". Cézanne, Soutine, de Kooning, tous ceux de son panthéon
personnel... Poliakoff est un de ceux qui s'invitent beaucoup en ce moment. Et que, visiblement, Traquandi ne sait pas toujours comment faire sortir. Peintures 2001, gravures, photographies, au Rectangle, place Bellecour, Lyon 2e. Tous les jours sauf le lundi de 12 à 19 heures. Tél.: 04 72 41 88 80. Jusqu'au 7 avril.
Peintures 1999-2000, galerie Confluence(s), IUFM, 5 rue Anselme, Lyon 5e.
Du mardi au vendredi de 10 à 18 heures, le samedi de 14 à 18 heures. Tél.: 04 72 07 30 74. Jusqu'au 8 mars. Photographies, peintures, galerie Verney-Carron, 99 cours emile Zola, Villeurbanne.
Du lundi au vendredi de 9 à 12 heures et de 14 à 18 h 30, et sur rendez-vous. Tél.: 04 72 69 08 20. Jusqu'au 7 avril 1) gravure E : Pointe sèche, 2001 - 90 x 63 cm (Ph.: Suzanne Nagy) 2) et 3): La Grave I et La Grave II, 2001 – Huiles sur toile – 200 x 162 cm (Ph.: Y.Gallois)
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