Barbizon : l'appel de la forêt Par Odile Blanc
Petit village parmi d'autres de la forêt de Fontainebleau, au sud de Paris, Barbizon donna son nom à un courant pictural indépendant, soucieux de peindre la nature pour elle-même, en plein air.
L'exposition du Musée des Beaux-Arts de Lyon rend hommage à ce qui fut une véritable école, et non une simple étape préfigurant l'impressionnisme,
à travers une centaine de tableaux provenant de collections françaises, européennes et américaines.
Le parcours s'ouvre sur deux oeuvres qui en donnent la mesure chronologique : l'une, de 1792, représente un paysage avec Narcisse se mirant dans l'eau ;
l'autre, qui date de 1840, ne montre qu'un paysage inhabité. Si le paysage n'est pas une invention proprement dite de l'école de Barbizon, celle-ci lui a donné
une place jusqu'alors inusitée, faisant de la nature le sujet même de la peinture. Dans cette évolution de la représentation du paysage, les artistes anglais furent
des maîtres pour le groupe de Barbizon, tout particulièrement ceux présents au Salon de 1824. La matière de Constable, l'absence apparente de mise en
scène dans ses paysages, sa façon de privilégier l'instant, a eu énormément d'influence sur la génération de 1820, tout comme les études de paysages de Bonington.
On retrouve ici ces deux peintres, en particulier un très petit format de Constable, presque entièrement occupé par un ciel rougeoyant d'une matière épaisse travaillée au couteau. Si les artistes français traversent alors la Manche, la tradition du voyage en Italie
demeure une étape essentielle à la formation des peintres, entre 1810 et 1840. La préparation du Grand Prix de Rome de paysage historique, que tous convoitent, exige entre autres l'épreuve sélective dite
"de l'arbre" : les candidats disposent de six jours pour exécuter un arbre dont l'espèce a été donnée le matin même de la première
journée par les membres du jury. Cette difficile épreuve devant être effectuée uniquement de mémoire, on comprend l'importance pour les candidats de préparer longuement ce concours. La forêt de Fontainebleau leur permet
d'avoir accès à la plus grande variété possible d'espèces d'arbres et de plantes. Aussi retrouve-t-on les Aligny, Corot, Coignet, Michallon, travailler à
Fontainebleau d'après nature et multiplier les études de rochers, d'arbres, de ciels. Contrairement à leurs successeurs, ils pratiquent longtemps l'étude
fragmentée des "ornements" de la nature. Un des mérites de cette exposition est précisément de présenter ces études innombrables, longtemps
déconsidérées par les protagonistes eux-mêmes, pour qui elles n'étaient que des études préparatoires au "grand" paysage historique exécuté à l'atelier. 
De Théodore Caruelle d'Aligny, paysagiste néoclassique en forêt de Fontainebleau dès 1820, on retiendra cette
merveilleuse étude de roche toute en contrastes de lumières et lignes brisées, moderne et sombre, qui jouxte un grand paysage représentant une carrière à Fontainebleau, sujet presque industriel avec
ses ouvriers au premier plan, d'une lumière presque aveuglante. De Corot on découvrira les roches brunes puis grises, les végétaux d'un vert
sombre, et cette peinture, commandée par le propriétaire lui-même, de la fabrique de M. Henry. Le bâtiment se détache sous un ciel céruléen, masse compacte écrasée de chaleur, devant laquelle pose une femme au rouet,
rappel de la nature de la fabrique, et vers laquelle s'avance au premier plan une ombre épaisse qui n'est pas sans rappeler les atmosphères zénithales d'un Chirico. Et quid de Georges-Bernard Michel
, ce Moulin d'Argenteuil sur fond de campagne bleu océan, sous un ciel gris d'orage : sublime. Barbizon c'est aussi Théodore Rousseau, auquel une salle est consacrée.
Admirateur des peintres hollandais et flamands, comme de l'école anglaise contemporaine, il s'inscrit parfaitement dans cette nouvelle façon d'aborder le
paysage : non plus le paysage historique ou mythologique encore chéri par certains, mais la fascination pour la nature et l'infini de ses représentations.
Autant Aligny est lumineux et ordonné, autant Rousseau est sauvage et moussu, multipliant les troncs d'arbres et les pierres ensevelis d'une végétation
mordorée. Ce sont des intérieurs de sous-bois, des détails de forêt, denses, traversés ça et là d'une douce lumière et peuplés d'un murmure incessant. La
nature est traitée comme un être humain, et le seul sujet de la peinture. Ailleurs, ce sont des plans plus larges comme dans "Sous les hêtres", où des
personnages apparaissent sous un bouquet d'arbres immenses au délicat feuillage rosé comme un pétale.
Autre figure emblématique de Barbizon entre 1835 et1850, Narcisse Diaz de la Pena
, de parents espagnols exilés, infatigable arpenteur de la forêt de Fontainebleau. Ses peintures emplies de rochers sombres et dramatiques, ses atmosphères d'orage noirci évoquent la manière d'un Goya, et influenceront
durablement la nouvelle génération des impressionnistes. Le désir de peindre la nature "pour elle-même", la prééminence de l'observation, le réalisme, se
retrouve aussi dans la peinture animalière et la représentation du monde paysan. Les scènes champêtres avec vaches avaient sans doute leur place,
mais pas de transport extatique devant de telles peintures. On préfère les arbres foudroyés de Bruandet, parfois traversés d'animaux qui courent.
Quant aux scènes de genre paysannes, l'a priori qu'elles sont susceptibles de déclencher doit être repensé au vu des sujets agricoles de Jean-François Millet
. Semailles et moissons, meules de foin et moutons baignés de lumière et de chaleur, mais aussi un étonnant printemps vert et bleu qui ressemble à
une miniature des Très riches heures du duc de Berry, la confrontation porte au ravissement. Le parcours se clôt avec les figures maîtresses de Courbet et Sisley
qui découvre la forêt de Fontainebleau dans les premières années de 1860, et un lever de lune de Daubigny, paysage nocturne d'une sombre noirceur tout à fait atypique dans le cheminement proposé.
C'est bien le mérite de cette exposition, d'avoir montré la grande diversité de ces peintres qui ont néanmoins formé une école, en dépit de leurs divergences
de points de vue (n'est-ce pas la quintessence même de l'école, idéale ?), comme de s'être attaché aux diverses manières de saisir le paysage, depuis les
études rapides et de petit format jusqu'aux compositions plus larges, en tenant compte de la façon dont les peintres travaillaient comme des nombreuses
évolutions techniques de l'époque, de l'invention des couleurs en tube jusqu'au développement du chemin de fer.
L'école de Barbizon. Peindre en plein air avant l'impressionnisme 22 juin-9 septembre 2002 Lyon, Musée des beaux-arts1) Georges-Bernard Michel : Campagne sous un ciel gris
2) Narcisse Diaz de la Pena : L'orage 3) Théodore Caruelle d'Aligny : Vue prise des carrières du Mont Saint-Père |