Douglas Kennedy

Par Gilles Bertin

Les ressorts de l'homérique américain

Panique d'abord. Puis ressaisissement. Acculé, l'homme passe ou casse. Ses hommes, Douglas Kennedy les acculent. Un meurtre. Un crash professionnel. Des situations sans retour. Dans le premier tiers de chacun de ses romans, Kennedy met ses héros dans une situation telle qu'ils n'ont d'autre choix que de se mettre en marche pour s'en sortir. Quitte à effacer toute trace de leur existence antérieure. À liquider tout lien avec leur passé, leurs enfants, leurs femmes. Peut commencer alors une nouvelle histoire. Avec son suspense. Va-t-il réussir à s'en sortir? Autant dire que le lecteur s'identifie totalement au héros, autant dire qu'il est très difficile de lâcher un roman de Douglas Kennedy.

Dans "Cul-de-sac", un type se retrouve pris au piège dans une petite ville minière australienne. Un cauchemar. Marié sans s'en être rendu compte à une fille issue d'une famille de dingos totaux. Comment s'en sortir? La ville la plus proche est aussi éloignée que la planète Mars. Ce sera un carnage pour retourner à la civilisation. Le seul roman de Kennedy publié en Série Noire. Numéro 2483. Une bonne entrée en matière.
Vient ensuite son premier best-seller, "L'homme qui voulait vivre sa vie". Un avocat, trentaine golden, posé sur les rails qui l'emmènent tout droit vers le top, la réussite friquée pas étriquée dans un cabinet de Wall-Street. Mais voilà! Il rêve d'être photographe. Et surtout, surtout, sans l'avoir voulu vraiment il élimine l'amant de sa femme, et sans l'avoir voulu il faut qu'il change de vie, qu'il abandonne absolument tout en quelques jours, qu'il recommence sa vie au zéro total. Le chemin sera long, comme celui d'Ulysse. Les romans de Kennedy reposent toujours sur ce ressort, éloignement brusque d'une identité et longue traversée pour en fabriquer une nouvelle.

Dans "Les désarrois de Ned Allen", il s'agit encore du même thème, habilement renouvelé. Un commercial brillant dans la pub se retrouve en quelques semaines en bas de l'échelle sociale. Et en bas, pour s'en sortir il plonge encore plus profondément. Kennedy emmène ses héros au fond, jusqu'à ce qu'ils donnent enfin le bon coup de talon pour remonter à la surface. "La Poursuite du bonheur", son dernier roman est dans la même lignée. Les romans de Kennedy se lisent facilement, parce qu'ils sont bien écrits, avec un sens du récit efficace. Ils nous parlent du monde où nous vivons et ses héros ont une problématique basique: Vivre! Ce sont de bons romans qui parlent de ce qui peut arriver à chacun de nous. L'accident de parcours. La vie remise en cause. Ne dites pas que vous n'en avez jamais eu peur. Cela vous est peut-être déjà arrivé. L'histoire que Kennedy réécrit de livre en livre, de best-seller en best-seller, c'est la mienne, c'est la vôtre. Et Douglas n'a rien à voir avec John, Robert et tutti quanti. Ce qui n'ôte ni n'ajoute rien à son talent de raconteur d'histoires très "contemporano-existentielles". Sans oublier l'histoire d'amour qu'il vrille toujours autour de celle de son héros.


Cul-de-sac, Douglas Kennedy, éd. Gallimard Série Noire n°2483, 1997
L'homme qui voulait vivre sa vie, Douglas Kennedy, éd. Pocket
Les désarrois de Ned Allen, Douglas Kennedy, éd. Pocket n°10917, 2000
La Poursuite du bonheur, Douglas Kennedy, éd. Belfond, 2001