Journal New-Yorkais (extrait) Par Virginie Poitrasson Page 1 Williamsburg, Brooklyn, NY, 11211 J'habite au 275 Ainslie Street au coeur
du quartier italien, au nord le quartier polonais, Greenpoint, à l'est la communauté portoricaine et sa musique qui joue en permanence, au sud le quartier des juifs orthodoxes, interdit de parler aux
hommes sauf si vous êtes mari et femme, et à l'ouest le quartier de Bedford avenue, dernier quartier à la mode à NY, au bord de l'Hudson et dans une ancienne zone industrielle. Page 4 Aujourd'hui! Après avoir pris la mesure des choses, après avoir lu des lettres d'amis, après
avoir regardé le ciel brouillé au travers de la fenêtre – il a plu – je m'allonge à nouveau dans les mots. Oui, il y a eu un moment sans les mots, sans le dire. A l'absente!
Mais NY, c'est une déferlante, un assommoir. Ici essaie de trouver une excuse, même pas valable, non c'est juste une vie, une vie nouvelle, une vie en
brèche avec les choses, en brèche avec moi. Je l'ai un peu laissé voguer la vie, je l'ai abandonnée, un peu comme une épave, un cargo qui rouille. Charmes du rouge et du brun édenté.
Faire le ménage de printemps, nous sommes bien à la mi-mai. Page 6
Aujourd'hui ici! Et je ne comprends toujours pas ces maisons en papier, tout au long de ma rue, avec leurs motifs géométriques, en losanges, en rectangles. Et elles ont
cette variété de couleurs et de matières qui va des fausses briques en plastique à la couleur du faux bois. Une ville en kit. Mon quartier est en kit, prêt à être
démonter, pas fait pour durer. Un empilement de boîtes. Et c'est comme si au moindre coup de vent tout allait s'écrouler comme un château de cartes.
Une certaine laideur, inexpliquée, qui continue même après un an à déranger l'œil. Pourquoi, d'ailleurs vouloir un habitat durable et solide ? Pourquoi avoir une exigence de la pierre ?
En Europe, les pierres véhiculent cette idée de la demeure, une maison est construite pour demeurer, pour résister éternellement. Ici tout a ce caractère éphémère, tout est à court terme, à l'image des maisons.
Page 15 Le 30 mai 2002, 8:17 am
Rapport au quotidien, rapport au langage. Breakfast. Un bol de céréales, quelques moineaux qui piaillent au fond du jardin, mon thé vert encore fumant.
Billie Holiday qui chantonne. La chaleur n'est pas encore là, proche cependant. Arroser les plantes, surtout le basilic. Désir de vert partout.
A l'étage au-dessous, nos landlords, Mr and Ms Filiato, couple d'italiens immigrés pacifiques, qui passent leur journée à s'occuper de leur jardin. Ils
observent, plantent, arrosent et en parlent interminablement avec leurs voisins. Ils discutent de la meilleure façon de planter telles ou telles graines. Et surtout,
ils aiment s'asseoir en fin de journée au milieu de leur carré pour le contempler en silence. C'est une grande passion pour beaucoup de citadins new yorkais.
Les jardins communautaires pullulent dans la ville, il y a comme des petites poussées vertes au milieu des buildings et des expressways. Un certain sens communautaire qui donne une autre couleur à NY. Brooklyn (Ph : DR) |