Neometal Par Clément Jeannin  Ils s'appellent Pleymo, Watcha ou Mass Hysteria. Inconnus il y a encore deux ans, ils sont les chantres du Néometal à la française, un courant
musical encore minoritaire mais qui intéresse de plus en plus les maisons de disque. Eclosion d'un phénomène venu tout droit de l'autre côté de l'Atlantique et qui commence à trouver son
public en France. Les maisons de disques, les nerfs..avides? Peut-être, même si les artistes ne veulent pas tomber dans le panneau.
Lyon, un soir de février. Dans une MJC, deux cents personnes se font face, deux blocs compacts prêts à en découdre. Sur scène, six super-héros aux tuniques sportswear multicolores
augmentent progressivement le rythme de la batterie et des guitares. Kemar, le chanteur de Pleymo, rapproche le micro de sa bouche, gonfle ses poumons
et donne le signal du départ. Les deux hordes se ruent l'une vers l'autre. Quelques frottements douloureux, une ou deux arcades sourcilières endommagées... Le public se calme rapidement, dans une ambiance bon
enfant. Le concert reprend, après cette démonstration du "Braveheart", un concept griffé Pleymo, le groupe de metal français du moment. Les
précurseurs d'un genre qui cartonne aux États-Unis et qui ouvre une brèche dans le paysage musical français. Une nouvelle contre-culture qui a pris l'essence du Hip Hop (la précédente contre-culture). Certains rythmes,
l'utilisation des platines et du scratch et l'esprit de collectif. Intégrant le son bien gras et saturé des Limp Bizkit, Korn et autres Incubus, qui ont écoulé
chacun des millions d'albums aux States. Le Néometal, le courant du nouveau millénaire? Les maisons de disque le vendent ainsi, même s'il ne s'agit pas de leur première tentative. Rétro sur le Néo
1995. Fun Radio, le média à l'époque numéro 1 chez les jeunes français, passe en rotation le premier single d'un nouveau groupe rock: No One Is Innocent. Le titre : La Peau
. Trois minutes de guitares lourdes, de sons bien saturés et de cris primaux. Carton immédiat. No One Is Innocent écoule rapidement, uniquement à l'aide de ce single, 100 000 exemplaires de l'album.
Disque d'or. Island, une maison de disques filiale de Universal, réalise ainsi un grand coup, les autres labels lui emboîtant le pas. Suivent les Silmaris et Lofofora. Chacun sort son single (Cours Vite!
pour Silmaris, L'oeuf pour Lofofora). A chacun son tube, à chacun son succès. Deux ans plus tard, tout a disparu. No One sortira un deuxième opus apprécié de la critique mais
boudé par le public. Lofofora arrêtera les frais après un deuxième album au nom prédestiné (Peuh!). Les Silmaris se feront oublier près de cinq ans histoire de se rebâtir une santé et un moral.
Les raisons de ce désastre ? Patricia Bonnetaud, directrice de la maison de disque Yelen (filiale de Sony) l'explique par une théorie proche d'un concept de micro économie. "
Dès que No One a cartonné, les maisons de disque sont immédiatement montées au créneau avec ces groupes. Mais si la base de fans répondait présente, il y a eu une surestimation de son nombre par les maisons de disques
". Sur les 100000 ventes du disque de No One Is Innocent, la moitié était due à l'intérêt d'un public amateur de métal. La directrice de Yelen estime que le
reste des ventes a été l'œuvre du matraquage du titre La Peau dans les médias. 50 000 acheteurs potentiellement capables de s'offrir la compilation disco du moment ou le deuxième album des rappeurs de NTM. "
Et bien sûr, quand ces groupes ont sorti un nouvel album deux ans après, la donne n'était plus la même. La mode était passée à autre chose".
Les ventes d'albums se sont effondrées, bien en-dessous des prévisions. Et les maisons de disques de rompre les contrats avec ces artistes. Aujourd'hui, pas besoin de chercher le disque La Peau
(pourtant considéré comme un classique). Le premier album, ainsi que son successeur, sont épuisés! Un septennat plus tard, tout a changé. No One Is Innocent est mort, vive Pleymo. Six garçons dans le vent
Janvier 2002. En douze jours, ce groupe de jeunes parisiens a écoulé 20 000 exemplaires de son deuxième album, Episode 2: Medecine Cake. Chez
Epic, le label filiale de Sony Music , on applaudit bien haut, mais en gardant les pieds sur terre. Mathieu Pinaud, attaché de presse de la section "Spé"
chez Epic ( trad: musique spécialisée, le secteur à la mode dans les maisons de disques) tempère rapidement certaines ardeurs: "D'accord, tout ceci est
super, mais il ne faut pas non plus tout mélanger. Le courant du Néometal explose, grâce notamment à Pleymo, mais cela ne représente encore qu'une infime partie du public. Il ne faut pas se leurrer. Si nous
pouvons vivre, c'est avant tout grâce à Lorie et Jennifer Lopez! ." Retour à la réalité, donc, et pourtant, l'attaché de presse ajoute : "mais c'est
évident que cela donne un nouveau souffle à la scène rock française. Toutes les maisons de disque vont vouloir signer leur groupe de metal français !".
L'engouement est-là. Alimenté par les maisons de disques, mais également par les médias. Le magazine Technikart parle de la France "Vénère", Rock n'
Folk étale sa une du mois de février sur..Pleymo. Les spécialistes en parlent donc, sans se montrer dupes. Yves Bongarçon, rédacteur en chef d'un des
magazines références, Rocksound, et "vieux briscard" du circuit, connaît la chanson. "Depuis quelque temps, le rap commençait à fatiguer les gens. Hormis
quelques tubes et des grosses pointures (NTM, IAM) les autres groupes et artistes, malgré de très bonnes promos, ne marchaient pas vraiment. Au bout d'un moment le message était clair. Le rap est mort, trouvons
autre chose. Où aller? La techno, à part Moby, cela n'a pas fonctionné. Tout le monde parlait de ce phénomène, mais personne n'achetait."
Pleymo a surgi et a tout emporté avec lui. Raisons de ce (début) de succès : la matière et la manière. Une créativité musicale indéniable, jonction entre le
Hip Hop et le Rock. L'utilisation de codes simples et efficaces : culture Manga, coupes de cheveux branchées et look de sales gosses. Les Pleymo ont tout pour plaire, et pas seulement au public. "
Reste un problème, tous les labels veulent maintenant trouver le nouveau Pleymo. Avec les risques de paupérisation que cela va forcément entraîner : les décideurs vont
épuiser le mouvement très rapidement. Le pourrir, le dégénérer, comme ils l'ont fait avec le rap !". Discours fataliste tranchant avec le comportement
actuel du magazine, qui surfe, bien sûr, sur la vague qu'il a lui-même aidé à former. Les chiffres sont là : "Notre magazine se vend de mieux en mieux,
avec 60 000 exemplaires édités tous les mois. Quant à notre disque compact offert dans chaque numéro, il permet à un groupe, dont l'un des titres y figure, de décupler ses ventes
". Bref, la base de fans et de curieux existe en France. Et les maisons de disque commencent à mettre le nez dans un véritable vivier de groupes talentueux. Explosion de Pleymo-bis?
Retour à la MJC lyonnaise. Un groupe de copains, formé il y a à peine quatre ans (comme les Pleymo), ouvre le bal pour le groupe parisien. Ils jouent un
rock très dur, mais très mélodique avec une bonne dose de funk, une sorte d'hybride de Pleymo, Korn et des Red Hot Chili Peppers. Il s'agit des
STEREOTYPICAL WORKING CLASS*. Des lyonnais au nom imprononçable, sauf pour les chefs de produit des labels parisiens, qui
appellent régulièrement la Lyonnaise des Flows, la structure villeurbanaise qui les manage. "On ne sait plus où donner de la tête en ce moment. Les
Stereotypical n'ont sorti qu'un quatre titres, mais ils sont actuellement très courtisés", prend le temps d'expliquer Chris Tateossian, leur manager,
occupé à trouver un avocat et à gérer ses prochains rendez-vous à la capitale pour la semaine suivante. "Nous avons été un peu pris au dépourvu, nous
prenons ces précautions dans le but d'assurer le coup. Le groupe est prêt pour intégrer une major nationale, mais on doit bétonner de notre côté pour ne pas nous faire avoir".
C'est un peu la panique, quoi. Vingt ans de moyenne d'âge, une auto-production vendue à 1500 exemplaires, et déjà très courtisés. "Bien-sûr, nous nous rendons bien compte que le Néometal explose en ce
moment et que les maisons de disque veulent signer des groupes à la fois proches et différents de Pleymo. Mais nous ne souhaitons pas signer un contrat à la va-vite et nous retrouver sur le carreau si tout va mal
", explique Tipek, le guitariste des Stereo. Six mois, un an, deux ans les durées sont très courtes. Et pour cause: dans le monde du disque, il faut breaker.Cours Vite! "
Breaker, dans le jargon des maisons de disque, cela signifie percer, dès le premier ou le deuxième extrait d'un album", traduit Patricia Bonnetaud.
Et de citer, en guise d'exemple, les deux groupes qui ont, à une époque, "breaké", mais sans pouvoir rester au sommet de la vague. Les précurseurs se nomment Silmaris, avec Cours Vite!
, et surtout No One Is Innocent, avec La Peau. On connaît la suite de leur carrière. Mais peut-être dans les maisons de disques plus qu'ailleurs, la culture du souvenir n'existe pas. 1995 est de
l'histoire ancienne, le Break d'un groupe de métal redevient d'actualité. Et cette fois, les maisons de disque tentent le coup, plus sereinement. "94, 95,
ce n'était pas la bonne période. La musique française a toujours été tributaire des États-Unis. Là-bas, les groupes de Metal remplissent les stades depuis plusieurs années. Nous nous retrouvons devant un
phénomène de mode qui nous arrive, avec une forme un peu édulcorée, plus adaptée", analyse Yves Bongarçon. "En quatre albums, le groupe Korn a vendu 27 millions de galettes,
précise Mathieu Pinaud, autant que Janet Jackson!". Les jeunes Français (la moyenne d'âge est de 18 ans) consomment à foison du Incubus, Korn et
autres Sum 41, et sont donc prêts à suivre la vague du Néometal Français. Comme leurs aînés avec le rap. Et comme pour le rap, le risque est dans la surexposition trop rapide et trop
boulimique. Cela fonctionne avec Lorie ou Star Academy. Mais le public rock, comme celui du rap, ne pardonne pas l'infidélité. Pour Patricia Bonnetaud, "
il va falloir faire attention à ne pas tomber dans une sorte de "Metal Variété", à la manière du rap ( Doc Gyneco ou MC Yannick). Dès qu'un groupe se retrouve catalogué par le public comme un
véritable produit "marketé", c'est fini pour lui." Stars FM-R ? On n'en est pas encore là pour le Metal Français. Tout le monde approuve le début de succès de Pleymo*
et la qualité des productions de Mass Hysteria et de Watcha. À la différence des rappeurs, plus prompts dès les prémices du succès à la jouer en solo et dénigrer les autres, les groupes de
Metal prônent le travail en équipe. Pleymo est issu du collectif de groupes parisiens Team Nowhere. Il invite Martin, le chanteur des Stereotypical, à
pousser la voix sur un titre, Star FM-R (prémonitoire ?). Tout le monde se retrouve pour des festivals de Metal un peu partout en France. "Sincèrement,
le succès rencontré par notre album nous donne confiance pour la suite. Notre but est simple et sincère : permettre à d'autres groupes français de
profiter de ce début de reconnaissance et revendiquer tous ensemble l'appartenance à une vraie scène du Néometal", confie Burns, le batteur de Pleymo.
Rock-Attitude entre les artistes, course contre la montre pour les labels. Les Stereotypical sont en passe d'être signés dans une Major. De nouveaux groupes comme Black Bomb A ou Enhancer
font parler d'eux. Universal annonce la création d'une filiale qui ne s'occupera et ne signera que des groupes de Metal. Big Red, le rappeur, ancien duettiste des Raggasonic, vient
de créer son label et de prendre sous son aile..l'Esprit du Clan, un groupe de Metal!. Tout va très vite. Rentré en 13ème position au classement des meilleures ventes d'albums début janvier,
Épisode 2: Medecine Cake, l'album de Pleymo, se classait 95ème au classement IFOP, début février. Pas de soucis concernant Star Academy et les L5, ils restent toujours devant. Beaucoup d'agitation pour rien ? "
Tout cela reste finalement très "hype", très parisien dans l'esprit. Nous verrons bien où tout le monde en sera dans un an", conclue Patricia Bonnetaud.
Les maisons de disque auront-elles alors toujours envie de jouer aux Pleymo-Bis? (Enquête réalisé en février 2002) Ph. : DR *Stereotypical Working Class
Après Les Nuits de Fourvière et Rock'n Poche, en septembre : le 21 au Skate Park de Montchat à Lyon le 28 au Brise-Glace d'Annecy avec
Black Bomb A et Mind the step.
En octobre : le 05 Place Bellecour à Lyon pour les
20 ans d'Handicap International puis le 18 au Transbordeur (Villeurbanne) avec Mass Hysteria. *Pleymo dans PlumArt N°38 (février 2002) http://www.plumart.com/vf3802/html/4338pleymo.html |