Sous le soleil de l'Acropole (3) Par Christian Soleil
vendredi 2 août 12h00. Nous déjeunons dans Le Pirée, sur l'esplanade qui surplombe le port, au milieu
d'un jardin de palmiers, d'aloès et de pins maritimes. De la terrasse de notre taverne, la vue s'étale sur le marina de Zéa avec ses yachts monumentaux et ses bateaux de plaisance, d'autre part sur le Golfe d'Egine,
avec, disparaissant dans une brume de lumière, l'entassement des immeubles géométriques d'Athènes dominé par les montagnes arides qui entourent la ville. Nous avons pris le métro ce matin sur la
grande place Omonia, après notre petit-déjeuner au Néon. Trente minutes de cohue et de canicule pour arriver au Pirée, dont nous avons arpenté les rues sous un vibrant soleil pendant deux heures.
C'est du Pirée que partent la plupart des bateaux pour les îles. L'un des plus grands ports de la Méditerranée, il est aussi une des principales villes de Grèce et dessert
Athènes depuis l'Antiquité. Les Longs Murs qui protégeaient la route le reliant à Athènes furent construits par Thémistocle en 480 avant J.C. En 86 avant J.C., le
dictateur romain Sylla les fit raser. Au Moyen Âge, Le Pirée n'était guère plus qu'un petit port de pêche. Lorsque, en 1834, Athènes redevint la capitale de la Grèce, son port
connut une seconde jeunesse et Le Pirée se couvrit de nombreux bâtiments néoclassiques et d'usines. En 1923, quelques 100 000 réfugiés d'Asie Mineure s'y
installèrent. Au début des années 1970, le régime des colonels fit raser de nombreux bâtiments publics souvent très anciens. Le souvenir de cette époque a marqué la ville,
qui s'efforce d'appliquer une politique d'urbanisme équilibrée. Le quartier du théâtre est particulièrement agréable avec ses restaurants en plein air et ses fontaines abritées à l'ombre des édifices néoclassiques.
Les serveur nous apporte des Cocas et des verres remplis de glaçons, puis des assiettes de fruits de mer. Sous notre nez, accrochés à des mâts plantés en contrebas à
côté de la capitainerie, des drapeaux rayés de rouge claquent au vent du large : F.C. Olympiakos Piraeus 1925. Les pigeons écrasés de chaleur restent cloués au sol au milieu
du jardin de l'esplanade où se dressent des colonnes néoclassiques pointées vers le ciel, comme désemparées de ne rien avoir à supporter que le vide du monde.
Après le déjeuner, à l'heure où la chaleur devient insupportable, tandis que nous cherchons à capter la moindre brise fraîche venue du Golfe, Sushi Boy allume un de mes
cigares dont il tire quelques bouffées. Il projette la fumée en l'air, et elle se dissipe en montant à la verticale, bien avant de rejoindre les rares flocons de cumulus qui piquent le ciel bleu.
18h00. Nous sommes rentrés du Pirée en métro pour venir prendre le frais quelques minutes dans notre chambre d'hôtel. Puis nous ressortons pour aller visiter la grande
librairie Eleftheroudakis, sur Panepistimiou, un grand boulevard parallèle à Stadiou et à l'Akadimias. Sept étages de livres grecs et internationaux, un café, des journaux en
consultation, en font un lieu de vie, d'échange et de culture intéressant. Avec l'université à proximité, ce quartier, situé entre le Jardin national et Kolonaki, avec
comme vitrine centrale l'avenue Akadimias, regorge de librairies essentiellement tournées vers des ouvrages classiques, philosophiques et universitaires, qui donne une
idée de l'importance de la lecture des Grecs. Le nombre de journaux nationaux et leurs tirages font aussi pâlir les Français. La Grèce compte en effet pas moins de douze titres
de presse quotidienne nationale orientés politiquement, soit trois fois plus que la France. En sortant de la librairie, nous poursuivons notre chemin jusqu'à la place Syntàgma et
le Jardin national. La première est une vaste esplanade à ciel ouvert, peuplée de palmiers et de jets d'eau, qui abrite le Parlement grec, situé dans le palais Vouli, et le monument
du soldat inconnu, orné d'un bas-relief représentant la mort d'un hoplite grec. Les murs qui ceignent la place arborent des boucliers de bronze qui rappellent les victoires de l'armée grecque depuis 1821. Deux évzones
, aux allures de mannequins de mode, vêtus de leur uniforme traditionnel, surveillent le monument jour et nuit. Le Jardin national
s'étend quant à lui sur seize hectares. Qualifié de "Royal" jusqu'en 1923, il devint alors "National" par décret. Il doit sa création, dans les années 1840, à la reine Amalia, qui fit
venir 15 000 plants d'Italie par la toute jeune marine militaire grecque. Les jardins ont été conçus par le paysagiste prussien Friedrich Schmidt, qui parcourut le monde à la recherche de plantes rares.
Sans doute a-t-il perdu de sa splendeur d'antan. Il n'en demeure pas moins l'un des lieux les plus reposants d'Athènes, avec ses sentiers ombragés, ses bancs et ses mares
à poissons rouges, et son envahissante population féline. Des ruines romaines et un vieil aqueduc viennent ajouter à l'atmosphère quelque peu surannée du lieu. Des
sculptures d'écrivains, tels Dyonisos Solomos, Aristotélis Valaoritis et Jean Moréas sont disposées dans le parc. Nous traversons le jardin en long et en large. Sushi Boy s'assied un moment sur un
banc pour observer des centaines de canards qui se précipitent tour à tour sur les passants venus leur apporter quelques morceaux de pain sec. Tandis que le soir se
penche, nous prenons un verre à la cafétéria du parc, le Kafenéon, sous une tonnelle de bambous située au milieu d'un jardin tropical. La douceur de cette fin d'après-midi est bien apaisante après la chaleur du jour.
Nous regagnons ensuite le quartier de Plaka pour dîner au Café Mélina, dans une ruelle en pente où les tables penchent dangereusement. Il y a la brise du soir qui caresse
doucement les hauteurs d'Athènes, les bougainvillées dont regorgent les murs du quartier et qui envahissent les rues et les places, le chant des grillons qui résonne dans les jardins, le son lointain des bouzoukis
qui reprennent les grands classiques de Mélina Mercouri sur une terrasse voisine, les bougies bleues sur les tables du café, les sucriers en cuivre de style ottoman, il y a le bonheur de vivre qui monte d'Athènes
quand tombe la nuit et que les femmes mettent des robes aux couleurs chatoyantes. Après le dîner, nous montons encore plus haut, jusqu'au sommet de la colline la plus
mythique de la Grèce. Des touristes noctambules se promènent sur l'esplanade qui s'étale au pied de l'Acropole. Les lumières rasantes qui nimbent le temple d'Athéna
Niké, l'Erechthéion et la Parthénon confèrent à ces monuments une grandeur qui est moins perceptible de jour. Nous marchons dans la pinède qui couvre la colline. Le chant
des grillons Des senteurs chaudes s'élèvent de la terre. Entre deux arbres apparaissent ici et là les colonnes illuminées du Parthénon. Sushi Boy sort alors son appareil photo
et tente de saisir l'instant. Saura-t-il en transcrire la magie sur papier Kodak ? Nous parviennent, portées par la brise du soir, les musiques d'un spectacle au théâtre
d'Hérode Atticus : un hommage au poète Nikos Gatsos par l'Orchestre d'Etat de Musique Hellénique. Sushi Boy s'arrête sur un banc de pierre pour profiter de cet instant magique. Ses yeux
balayent les ruines de l'Acropole. Ce n'était initialement que la forteresse d'un seigneur local. Ce site imprenable lui permit d'étendre son pouvoir sur toute la région. Plus tard,
le roi d'Athènes fut à la fois chef politique et religieux. Il a décidé de consacrer l'Acropole à la célèbre déesse Athéna. Puis le pouvoir passa entre les mains de propriétaires terriens appelés aristoi
(les meilleurs). Ce fut la naissance de l'aristocratie. Ensuite la démocratie athénienne prit la relève mais fut durement battue par les Perses
en 480 avant J.C. Ceux-ci détruiront les temples de l'Acropole. Les statues et les ex-voto restants seront cachés par les Grecs dans des cavités du rocher. Une chance pour les
archéologues qui les ont découverts au XXe siècle. Ces reliques sont actuellement au musée de l'Acropole. Contre les Perses, les cités grecques s'unirent dans "l'Alliance". Gardienne du trésor de
guerre de cette alliance, Athènes connut alors une puissance et un rayonnement sans précédent. Périclès profita de cette abondance financière pour reconstruire totalement
les temples de l'Acropole. Les travaux furent surveillés par Phidias, le plus grand sculpteur de l'Antiquité. Ce sont les restes de son architecture que l'on admire
aujourd'hui. Ces restes ne donnent pas forcément une bonne idée de ce qu'était le site à l'époque de son édification. Si l'on avait sous les yeux cet ensemble de temples
polychromes, on ferait sûrement la grimace tellement on est habitué à ces ruines nues. On trouverait cela surchargé et clinquant parce que l'image que l'on a du site correspond à un certain dépouillement.
En 86 avant J.C., Rome envahit la Grèce, pillant et dévastant les villes. En revanche, les Romains ne touchent pas à l'Acropole. Au Ve siècle, les chrétiens de Byzance
emportent la célèbre statue chryséléphantine (en or et en ivoire) d'Athéna qui, de ses dix mètres de haut, douze en comptant la base, siégeait au Parthénon. Elle disparaît à
jamais, sans que l'on sache ce qu'elle est devenue. Il en reste juste une réplique de 95 centimètres au Musée national. Le temple fut transformé en église, orthodoxe d'abord puis catholique.
Puis, en 1456, les Turcs transformèrent le sanctuaire en place forte. Ils installèrent une mosquée, un entrepôt de poudre et une résidence pour le gardien du harem. Pour les
chasser, un général vénitien n'hésita pas à bombarder l'Acropole et fit sauter le Parthénon. Dernier préjudice subi, le pillage organisé à partir de 1801 par Lord Elgin,
ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople, qui déposa avec l'accord du sultan les plus belles pièces du Parthénon au British Museum. Le retour de ces Marbres fut le
combat le plus véhément de Mélina Mercouri, Ministre de la Culture à partir de 1983. samedi 3 juillet Minuit. Visité ce matin avec Sushi Boy le Musée archéologique national. Inauguré en 1891, ce superbe bâtiment rassemble les collections autrefois dispersées dans la ville.
De nouvelles ailes furent ajoutées en 1939. Dans les mois qui suivirent, les incertitudes de la guerre incitèrent les conservateurs à disperser et à enterrer les collections pour les
préserver de la destruction et du pillage. Le musée ne devait rouvrir qu'en 1946. Il a depuis lors subi de nombreuses rénovations et restructurations. Il comprend des
collections uniques de bijoux mycéniens en or, de sculptures, de céramiques et de joaillerie de diverses époques. Impossible d'y prendre des photos au flash, ce que j'ai regretté car j'ai surtout eu un
coup de coeur pour l'Ephèbe de Marathon, qui date de 340 avant J.C. et fut retrouvé dans la mer. Son expression rêveuse et sa pose sont typiques de Praxitèle, l'un des
maîtres de la sculpture classique. Modèle de nu héroïque, il témoigne de la perfection du détail et de l'équilibre d'ensemble.Nous avons ensuite déjeuné dans un restaurant de Plaka, In Town, un lieu sélect et
branché choisi par Sushi Boy parce que ça lui rappelait les brasseries élégantes de Times Square à Tokyo : une copieuse mais délicieuse salade aux pignes de pin.
Ce soir, nous sommes allés voir un spectacle en plein air à l'Odéon d'Hérode Atticus : un hommage au poète Nikos Gatsos par l'Orchestre d'Etat de musique hellénique sous
la direction de Stavros Xarchakos. Un véritable moment de grâce avec des musiques aux inspirations diverses, où le folklore grec était présent, mais aussi les influences
orientales, médiévales, contemporaines et même le jazz. Sushi Boy était transporté. Au-dessus de nos tête, le Parthénon illuminé semblait veiller sur le spectacle. L'Odéon
d'Hérode Atticus est un petit théâtre romain capable d'accueillir 5000 spectateurs, encore utilisé de nos jours. Construit par le consul Hérode Atticus entre 161 et 174 en
mémoire de sa femme, ce monument fut taillé à même le versant sud du plateau de l'Acropole. L'orchestra semi-circulaire situé devant la scène a été repavé de dalles de
marbre bleues et blanches dans les années 1950. Derrière la scène, une colonnade abritait une statue de chacune des neuf Muses. Autrefois, l'ensemble de l'édifice était
recouvert d'un toit en bois de cèdre, qui améliorait l'acoustique et protégeait des intempéries. Aujourd'hui, l'odéon accueille des pièces de théâtre et des concerts.
Une nuit étoilée régnait sur Athènes quand nous sommes sortis du spectacle vers 22h30. Sushi Boy a voulu que nous dînions dans un restaurant végétarien, Eden, dans
le quartier de Plaka. Nous avons descendu la colline de l'Acropole au milieu des pins, des odeurs chaudes de la nuit et des grillons omniprésents. Photo : L'Agora / Athènes - http://members.lycos.fr/bonjourlemonde
Remerciements à Francis Robert |