Plaisirs d'Avril

par Nelly Gabriel

Une fête de l'œil, une jubilation de la couleur,
ces autoportraits en pitre à son chevalet, cette gamine sur son cheval à bascule peinturlurée comme une poutronne, ce nu fauve et coquin entre Bonnard et Pascin, ce carnaval d'Aix qui préfigure des fêtes foraines à venir... Pour Avril la vie est un spectacle. C'est tous les jours Mardi Gras. On est comme à Guignol
.

Son entrée en art, Avril la fait par la peinture dans les années cinquante. En 1968, la rencontre avec l'objet provoque chez lui une manière de révolution et lui révèle sa voie: celle de l'assemblage. En embuscade, la peinture est là, pourtant, toujours prompte à resurgir dès que l'occasion se présente...
Appréhender le parcours d'Armand Avril à travers le prisme formaté de l'Histoire de l'art d'aujourd'hui, on le pourrait. Le rapport à l'objet et à la matière, l'art de l'assemblage et de la série, la récupération, le sens de la dérision, autant de pistes empruntées par ce Lyonnais autodidacte né en 1926 qui renvoient à des courants constitutifs de l'art contemporain. Et pourtant, plus que d'érudition, de recherches en filiation et d'analyses, on a envie de laisser Avril à sa fraîcheur. A sa liberté. Au jaillissement répété et inventif d'une singularité première, qui innerve sur plus de trente ans, un parcours d'une jeunesse inaltérée.

Il est vivifiant, ce souffle d'Avril qui claironne carrément que la vie est une farce, l'homme, sa marionnette, et que, de tout cela, on se doit de rire. Aux cimaises du musée Paul Dini qui a eu l'excellente idée d'organiser une rétrospective d'Armand le poète (comme à celle du Lutrin, sa galerie lyonnaise), il nous clame que la vie est là, plus bigarrée et agitée que simple et tranquille, et qu'il convient de la célébrer tant qu'on le peut. A travers l'infinie patience d'assemblages insolites aux registres sages et à l'ordonnancement symétrique, ou au contraire, par la liberté spontanée de peintures qui traduisent l'élan même de la vie.
Les huiles sur toile qui ouvrent l'exposition du musée Paul Dini attestent que le peintre-plâtrier qu'est alors, dans les années cinquante, Armand Avril, s'adonne à l'art de la couleur avec une audace à faire pâlir un tableau fauve. Une couleur qui construit tout: les formes, la perspective, l'espace. Avec parfois quelque chose de Dufy dans l'allusif de la touche, dans l'occupation de l'espace par des signes plastiques évoquant une ponctuation. Une pulsion dionysiaque dans la touche y fait palpiter le regard. En fin d'exposition, les dernières peintures d'Avril. Plus libres, plus démunies que jamais dans les moyens mises en œuvres (peinture et collage sur carton), mais si expressives. Peut-on ne pas aimer cette peinture gaie, joyeuse, rieuse?

Viennent ensuite les assemblages, montages plus ou moins complexes d'objets extraits du quotidien. De la pince à linge au bouchon de champagne...
Ils évolueront au fil du temps, prenant des couleurs, perdant de la matière, modifiant leur système de composition pour aboutir, dans les années 80/90,
à des compositions d'une grande sophistication.
Le saltimbanque de la couleur se fait brocanteur pour élaborer ces bas-reliefs qui tiennent du reliquaire ou du totem. Dans l'iconographie accueillante d'un syncrétisme très personnel, le Christ côtoie le vaudou. On y retrouve aussi pêle-mêle des gaietés de 14 juillet, des chahuts de fête populaire, des chatoiements de bords de mer. Du bleu, du blanc, du rouge. Ou tout au contraire des camaïeux, des harmonies de tons assourdis. Avril est un extraordinaire coloriste. Tout cela dessine une drôle de géographie du sacré et du profane.
Brute, singulière, une idée de l'art s'impose devant les assemblages de ce maître d'un art primitif et populaire autant que raffiné et cultivé. D'une culture d'autodidacte qui annexe avec une avidité curieuse mais avisée ce qui d'instinct l'accroche. Les montages d'Avril trahissent d'autre part un sens inné de la composition. Parfaitement architecturés, ils imposent un ordre géométrique rigoureux à la profusion des signes. Où comment dompter son chaos originel sans en tarir la vie.

Avec rien, ou si peu, des rebuts, notre homme construit un étonnant univers qui s'apparente à un intarissable jeu de construction. La combinaison des formes, les sujets mêmes, ont beau se répéter au fil du temps, l'impression n'est jamais à la redite. Jamais, en tout cas, Avril nous ne ennuie. Toujours, on s'amuse à décrypter scènes et personnages. S'ajoute, essentiel, le plaisir plastique de l'objet. Son montage, sa fabrication, la manière dont la couleur vient rehausser l'ensemble. Sans être fignolés, sans rechercher le joli, les montages d'Avril sont soignés, finis comme ils le doivent. Ni trop trop peu. Dans cet équilibre délicat qu'il sait trouver, se lit la sensibilité juste de l'artiste.
Un artiste qui prend le sérieux à revers, langue tirée, vie brocardée, mort moquée. Qui pratique volontier le pied de nez en forme d'hommage, à moins que ce ne soit le contraire. Salut à Chaissac, clin d'œil à Malevitch, Cubisme pas loin, autant de petits signes à des collègues. Sourire d'Avril qui s'amuse, se paye la tête de ses personnages, se paie sa propre tête. Ce qui n'empêche pas la tendresse. La drôlerie, la moquerie, voire l'ironie, oui. Le cynisme non.
Ce qui peut se cacher d'angoisse ou d'inquiétude derrière l'attitude du pitre, derrière la bonne blague perpétuelle, Avril a la pudeur de n'en jamais rien dévoiler. Même si ces personnages ont parfois des têtes de morts. Qu'ils nous rappellent que derrière le rire, il y le rictus. Et qu'on finit tous comme cela. C'est la vie. Une vie à laquelle Armand Avril n'a de cesse de rendre hommage.

Armand Avril, itinéraire, peintures et assemblages
Jusqu'au 22/12 au Musée Paul Dini, Villefranche-sur-Saône
Ouvert du mercredi au samedi de 11 à 19 heures et le dimanche de 14 à 18 heures.
Tél.: 04 74 68 33 70..

1) Sauteuse à la corde - 2000
Peinture et collage sur carton – 76 cm x 63 cm
2) Vas-y Popaul – 1994
Assemblage – 16 cm x 120 cm
3) Vive l'école laîque – 1977
Assemblage – 195 cm x 126 cm
4) Mer à Cassis – 1986
Assemblage – 108 cm x 65 cm
Photographies extraites du catalogue de l'exposition