Marie-Paule Belle chante Barbara Par Christian Soleil
La talentueuse interprète de "Je ne suis pas parisienne" se glisse dans un costume un peu trop ample pour elle.
Cela fait à peu près un an que Marie-Paule Belle promène son spectacle "Marie-Paule Belle chante Barbara" sur les routes de France et de Navarre. Une belle affaire. On connaissait
l'humour de la créatrice de "Je ne suis pas parisienne" et de "La biaiseuse", son ironie cinglante, son détachement apparent sur les choses de l'amour, et l'on se disait que ces aspects-là la rapprochaient finalement de
Barbara-la-drôle, Barbara-la-gouailleuse, Barbara-la-méconnue dont le grand public souvent ne retient que la longue silhouette noire, le goût de la mort (qui
est aussi goût de la vie) et la fascination pour le suicide. Bien. Effectivement, Marie-Paule Belle se promène dans les chansons de la veine sarcastique de
Barbara, et son talent d'interprète, ce n'est pas inattendu, fait de son spectacle un show bien huilé, efficace et propre. Marie-Paule Belle sur scène,
seule au piano, caressée par les éclairages rouge et noir de Jacques Rouveyrolis (mais oui, lui-même en personne, le grand éclairagiste célèbre
dans le monde entier et qui illuminait déjà les spectacles de Barbara), habillée par l'habilleuse même de Barbara (une veste noire, ample, qui flotte quand elle
marche, et des pantalons pattes d'eph' rigoureusement identiques à ceux de Barbara), soutenue par la patte musicale de Roland Romanelli (qui prépare, lui
aussi, après Béjard, après Belle, un spectacle sur Barbara pour l'année prochaine), Marie-Paule Belle donc puise dans le répertoire des premières années de Barbara, plus exactement dans ses quatre premiers albums, des
chansons fraîches et colorées où l'émotion domine : la colère devant le monde qui n'évolue pas malgré ce que d'aucuns voudraient nous faire croire, la joie
de vivre qui ne serait peut-être qu'une lutte interne contre le désespoir, la tristesse de la perte contenue dans l'instant du bonheur. Il n'y a bien que la
peur que Barbara ne s'autorisait pas, pas encore, pas avant Lily Passion, au milieu de années 80, "J'ai peur mais j'avance quand même..."Sur le choix de ces chansons de la première heure, Marie-Paule Belle
s'explique. "Le public est forcément frustré. Il connaît les chansons de Barbara. Il attend "L'aigle noir" ou "Ma plus belle histoire d'amour". Mais
l'intégrale comprend quelque 200 chansons ou presque. Je ne pouvais pas décemment toutes les apprendre. Toutes celles que j'ai incluses dans mon spectacle sont celles qui ont bercé mon adolescence, celles de la première
heure. J'ai avec elles un lien affectif très fort. Avant sa mort, Barbara m'a autorisé à reprendre "Nantes" dans un spectacle. Je lui devais bien cet hommage."
Certes. On ne peut cependant s'empêcher de penser que ces titres peu connus, lointains dans le temps sont effectivement moins risqués que les chansons les plus populaires de la "femme qui chantait". Plus difficile de
soutenir la comparaison sur "L'Aigle noir" que sur "A mourir pour mourir". Sur les lèvres de Belle, on savoure les textes simples et beaux de Barbara,
cette prégnance de l'artiste disparue depuis longtemps déjà. Belle est souvent habitée par Barbara. C'est encore Belle et ce n'est plus elle. C'est sa voix et
ce n'est déjà plus tout à fait sa voix. Ici une intonation, là un geste copié, la main tendue en l'air et qui se brise, les poignets offerts au public dans un élan
quasiment religieux, et puis ce regard de Belle vers le ciel, un brin ostentatoire tout de même pour montrer que les applaudissements méritent d'être
partagés. Vrai, ça ne mange pas de pain. Mais les admirateurs de Barbara, ceux qui l'écoutent sans relâche même à présent qu'elle s'en est allée au grand
jardin de pierre, savent bien qu'elle n'avait sûrement aucune envie de monter au ciel, que ce n'est pas là qu'on peut la trouver. Ni en enfer d'ailleurs. Le ciel
et l'enfer, elle les a eus de son vivant. L'enfer de l'inceste, qui la poursuivit toute sa vie durant : ce corps qui se cache, cet amour qu'elle ne peut faire
qu'au public, transcendé, fuyant, sitôt offert sitôt repris, "donne et je te donne" mais "c'est parce que je t'aime que je préfère m'en aller". Le paradis,
éphémère et épuisant, de la scène, où tout peut se jouer, où tout est possible. Aurait-elle pu faire autre chose que chanter, la femme qui chantait?
La question est philosophique : aurait-elle pu, ou était-elle conditionnée pour cela? De fait, on ne retrouve pas dans les concerts de Marie-Paule Belle l'intégralité
du public de Barbara. Si son spectacle remplit effectivement les salles, la moyenne d'âge est nettement supérieure à celle des admirateurs de l'originale.
C'est que l'on vient voir Marie-Paule Belle pour retrouver le goût d'une époque, de sa jeunesse, des années enfuies. L'art de la femme qui chantait
savait séduire des publics de tous âges, et qui fredonnaient y compris les moins connus de ses titres. Marie-Paule Belle s'y connaît pour capturer l'intimité de l'univers de Barbara,
ce "secret profond d'une indicible douleur, ce mal de père" comme l'écrivit une journaliste. Il y a dans son spectacle de grande envolées, parfois très
belles et très justes, d'autres fois un brin trop appuyées. L'émotion surgit d'elle-même avec d'autant plus de force qu'on ne la force pas. Il est des cris
moins assourdissants qu'un silence contenu. La chanteuse de "Wolfgang et moi" a quelquefois tendance à l'oublier. Comme si le public avait besoin qu'on
lui mâche le travail, qu'on lui mâche l'émotion, qu'on la lui présente sur un plateau d'argent, quand la véritable exigence de l'artiste devrait laisser au
public l'effort de se hisser au niveau de la scène. Marie-Paule Belle est beaucoup plus à l'aise dans l'humour (et c'est un compliment) que dans la
profondeur des idées noires qui hantaient la femme chantante. Sa reprise de la chanson de Vincent Scotto, "Elle vendait des p'tits gateaux", mille fois chantée
par Barbara au point qu'on a souvent cru qu'elle était d'elle, est une pure merveille de drôlerie. Ses excès sont ici salutaires et bienvenus. Ils le sont
moins, encore une fois, dans l'émotion vive de la femme chantante. Mais ne soyons pas injustes. Bien sûr, les puristes, les admirateurs inconditionnels de Barbara ressentent devant Belle chantant Barbara un
étrange malaise bien compréhensible. On ne joue pas impunément avec leur déesse. Car il y va, dans toute la carrière de la femme qui chanta, de
l'apparition maîtrisée, gouroutisée, religieuse. Le lien qui les lie à cette mère de tous, cette matrice qui n'eut pas d'enfants mais les voulut tous est à
proprement parler un lien érotique, et c'est en cela que Barbara symbolise une déesse. On la revoit distribuant ses préservatifs à la fin des concerts.
"Si s'aimer d'amour, c'est mourir d'aimer..." Et Belle endossant les musiques, les paroles, les intonations, le jeu de scène, la gestuelle, les éclairages, les
musiciens et tout le reste de ce qui fut leur femme chantante personnelle à eux, c'est un petit peu trop pour eux. Mais le grand public vieillissant qui veut s'illusionner sort généralement satisfait
de cette commémoration. Il distribue à la fin du concert quelques bouquets de fleurs que Belle n'ira pas déposer sur la tombe de la soldate trop connue.
"Il est d'autres combats que le feu des mitrailles. On ne se blesse pas qu'à vos champs de bataille." Le grand public a confiance dans les étiquettes. On lui dit
Barbara. Il entend Barbara. Le même goût. La même saveur. Il faut être connaisseur, en effet, pour comprendre à la première gorgée que Canada Dry
n'est pas de l'alcool. A la sortie, le grand public vieillissant achètera même le CD "Marie-Paule Belle chante Barbara". D'ailleurs, sur la photo de la
pochette, que Marie-Paule Belle se défend d'avoir choisie, il y a le noir et le blanc de Barbara, le regard triste de Barbara qui voit au-delà de l'objectif,
revivant à tout jamais les scènes pénibles de l'enfance arrachée à elle-même.
Marie-Paule Belle donnait son spectacle "Marie-Paule Belle chante Barbara" le jeudi 3 octobre 2002. Prochains spectacles dans la région : le 26/11 au Creusot (71) et le 12/02 à Clermont-Ferrand (63)
En mars 2003, dans le département du Rhône : Bron et Chassieu. |