Les banalités raffinées de Wim Delvoye

Par Hauviette Bethemont

Wim Delvoye est l'un des rares artistes ayant eu droit aux  honneurs de la presse internationale. L'énorme médiatisation de sa machine à merde, poétiquement appelée Cloaca, a escamoté le reste d'une œuvre pleine d'humour surréaliste exposée actuellement au Musée d'Art Contemporain de Lyon.

Cloaca est la star de l'exposition. La machine à merde, avec son aspect hygiéniste, ses bocaux et ses tubes a déjà fasciné les médias du monde entier. Sa lente digestion reconstituée jusqu'à son aboutissement final est après tout le dénominateur commun des populations de toutes races et de toute civilisation. Cette œuvre générique qui fonctionne à la manière d'un corps humain a connu le même succès aujourd'hui que le célèbre automate de Vaucanson en son temps. Une comparaison d'autant moins fortuite que Cloaca , est en soi une machine scientifiquement remarquable. L'artiste a en effet réussi son projet en s'entourant d'une équipe de médecins et le résultat aurait pu tout aussi bien se retrouver dans un musée des sciences humaines. Wim Delvoye l'a cependant porté dans le champ de l'art, le corps restant l'un des sujets de prédilection de ce dernier.
Dès la Renaissance, les artistes, encore scientifiques, cherchent à percer les grands mystères de l'enveloppe charnelle, et de Léonard de Vinci aux Ecorchés de Rembrand en passant par la fameuse collection de cire du docteur Spitzer, les mécanismes des muscles, les flux sanguins, les effets et déformations de la maladie sont étalés au grand jour comme des œuvres. Les merveilles de l'anatomie provoquent alors, tout comme aujourd'hui, un voyeurisme emprunt de crainte. Le XXe  siècle après s'être penché sur la matière de la peinture, y a trouvé, grâce à ce cher papa Freud des relents de scatologie, relents immédiatement mis en pratique par certains artistes de l'extrême. Hors de la transparence du corps, les excréments devenaient une production ultime du "je". Hors, à l'ère de la cybernétique, Wim Delvoye en mécanisant, en réalisant artificiellement des excréments, leur  ôte tout aspect répulsif, toute image du long passage dans la chaleur de la chair, bref toutes relations aux fantasmes.

Dans l'œuvre de Wim Delvoye Cloaca est une étape préparée par d'autres transparences, par d'autres regards pseudo scientifiques sur le corps. A Lyon, sont ainsi exposée une série de vitraux.
Des vitraux aux formes très classiques, réalisées visiblement par des artisans experts mais dont le contenu iconographique est fort troublant. Si au Moyen Age, les populations pouvaient y lire les évangiles, l'artiste nous propose une toute autre histoire centrée uniquement sur nous-même: des radiographies de couples copulants. Rien d'érotique dans ces ébats, la chair effacée ne laisse apparaître que des os, des formes à peine esquissées, le regard dans ce réalisme poussé à bout ne peut même plus jouer au voyeur. La mise à nu de la genèse, le début sous-entendu de la vie, ne répond toujours pas ou mal aux questions existentielles de qui sommes-nous, d'où venons-nous. Etrangement, au milieu de ces squelettes qui s'enlacent, de cette merde hygiénique, l'artiste nous renvoie à notre spiritualité.

Le va et vient des sens est une spécialité de
Wim delvoye, entre bon goût et mauvais goût, entre artisanat et art, il nous fait basculer dans une absurdité pleine d'humour.
Dès l'entrée de l'exposition, il est clair que chaque objet raconte en toute autonomie des histoires,
un énorme camion benne, grandeur nature,
est entièrement construit dans du bois. Du teck pour être précis car le camion est devenu une œuvre artisanale, un chef d'œuvres de compagnons. Avec la même volonté de mêler le savoir-faire à la plus grande banalité, l'artiste s'est attaqué à des bétonnières devenues le support de volutes sophistiquées et des pelleteuses, aussi belles que des cathédrales. Tout objet du quotidien peut ainsi devenir le support d'un travail raffiné, des pelles se transforment en écusson, des bouteilles de gaz en véritables faïences de Delft. Ces courts circuit jouissifs relèvent du surréalisme, Wim Delvoye est belge et de Magritte à Ensor, il ne renie pas ses références! L'exposition recèle une multitude de ces sens cachés, de monsieur Propre à Cloaca ou du post it gravé dans la pierre, il faut prendre son temps pour les décrypter au-delà du plaisir immédiat du regard.

Wim Delvoye
jusqu'au 10 août au Musée d'Art Contemporain
Lyon / Cité Internationale
04 72 69 17 17
(1) Cloaca , (2) Lasagna in the fridge, (3) Caterpillar
Ph:@DR