Super Warhol à Monaco :
le grand faiseur.

par Florence Charpigny

Le 3 juin 1968, Valerie Solanis, fondatrice et unique membre de la SCUM (Society for Cutting Up Men) fait irruption à la Factory, armée de pistolets de divers calibres, et tire à plusieurs reprises sur Andy Warhol et quelques-uns de ceux qui l'entourent. Si Warhol survit et, dans un élan de provocation aussi narcissique que morbide, s'empresse de faire immortaliser ses cicatrices par Richard Avedon, le pop art, lui,
est assassiné.

La mort, Warhol l'a déjà vue en face ou presque, et plusieurs fois. Elle l'obsède. Le morbide, ça le connaît bien. Il s'y entend. D'abord, il y a eu la mort du pop, en 1966, de diverses manières: Warhol a décidé d'arrêter de peindre et de tourner des films. Plus radical, en avril, à la galerie Castelli, il expose dans une salle des oreillers flottants gonflés à l'hélium. Il ouvre la fenêtre, une des sculptures volantes s'échappe : "Je sens ma carrière artistique s'envoler par la fenêtre", observe-t-il. C'est, disent les exégètes, l'arrêt de mort du pop art.

Auparavant, il y a eu, parmi des dizaines d'autres, les séries Skulls, manières de vanités brutales, et Death and Disaster, inventaire apocalyptique de suicides, accidents de voiture, chaise électrique, émeutes raciales, funérailles d'un gangster, hommes les plus recherchés, assassinat de Kennedy,  bombe atomique.
La violence ordinaire décrite sans état d'âme, sans émotion - surtout pas d'émotion.
Il y a, au même moment, cet hommage désincarné à la suicidée la plus célèbre du monde, Marilyn Monroe, où s'épanouit la singulière dissociation entre le sujet et les couleurs, orange, rose, turquoise ou jaune, couleurs saturées, lissées, réverbérantes, les couleurs et la matière même du pop. Une Marilyn proprement iconique sur un fond d'or, comme une vierge byzantine, et à tous les sens du terme, comme symbole du star-system de son époque. Warhol, sacrilège…Encore fallait-il être pieux.

Tout cela, il l'a été. Probablement a-t-il cru un moment à cette société marchande,
à ce monde matériel qui l'entourait, auquel, dessinateur de presse et de publicité,
il a contribué. Et qu'il a transfiguré en faisant d'une œuvre d'art une marchandise comme une autre, commercialisable en fragments, un objet industrialisé réalisé en série, mécaniquement, au pochoir ou par moulage, une cohue d'objets plutôt, dupliqués et juxtaposés à l'infini. Où même les sujets sont des objets, d'ailleurs, des clichés stéréotypés. Il l'a d'autant mieux mis à distance et critiqué, à travers la parodie de son esthétique et de ses outils, les médias sous toutes leurs formes - l'affiche, la photo -, en annihilant le réel et lui substituant des images indéfiniment répétées, omniprésentes. Que sont les séries de boîtes de Campbell Soup, sinon des images d'objets, leurs doubles inanimés, morts ?

Le pop art n'est pas seulement américain, et Warhol ne l'a pas inventé. Mais il en est mieux qu'un représentant, même éminent : il en est l'icône, inlassablement, obsessionnellement mise en scène. Et il ne fallait pas moins que le gigantesque Grimaldi Forum et les 4000 m2 de son espace Ravel pour accueillir une non moins gigantesque rétrospective de son œuvre (plusieurs centaines d'objets) dont le commissariat est assuré par Germano Celant et la scénographie par Matali Crasset. C'est l'ensemble des médias mis en œuvre par Warhol qui seront montrés, toiles, installations, cinéma, publicité, télévision (Andy Warhol TV), revue (Interview), des années 60 aux années 80, et son extraordinaire capacité de faiseur : faiseur d'art, de publicité, d'histoires, de talents, de célébrités. Faiseur, au fond, de tout ce qui produit du lien, rattache à la vie. Et Germano Celant a choisi de mettre l'accent sur les œuvres monumentales de Warhol, relativement peu montrées et cependant indissociables de l'esprit du pop. Parce que le gigantisme rompt avec les formats de l'art classique qui faisaient de chaque œuvre une fenêtre ouverte sur le monde aussi sûrement que Duchamp a rompu avec (presque) tout le reste en signant une roue de bicyclette, un porte-bouteille et un urinoir; et parce, en une ruse suprême, en dilatant excessivement le format des oeuvres, le pop propose un monde recontextualisé à une échelle métaphorique et probablement prémonitoire, dominé par les images et les objets qu'il produit.

Et comme une exposition Warhol ne saurait se dérouler sans évoquer le Velvet Underground, sont programmés entre autres des concerts de Lou Reed le 11 juillet et John Cale le 24 juillet.

Du 16 juillet au 31 août 2003
http://www.grimaldiforum.com/warhol/fr/default.htm
(1)Andy at Leo Castelli
©Nat Finkelstein
(2)Marilyn, 1967
Porfolio de 10 sérigraphies couleurs
91,5 cm x 91, 5 cm
©The Andy Warhol Foundation for the Visuals Arts, Inc/ARS,
NY et AGAG, Paris 2003
(3)Electic Chairs, 1971
Porfolio de 10 sérigraphies couleurs
91,5 cm x 91, 5 cm
©The Andy Warhol Foundation for the Visuals Arts, Inc/ARS
NY et AGAGP – Paris 2003