La mode poétique d'Isabelle de Borchgrave

par Odile Blanc

Un matin d'octobre. Le Thalys quitte Paris pour Bruxelles, traverse de plates étendues vertes et bleues floutées par la brume et progressivement habitées de maisons de brique rougeoyantes: frontière nord. Bruxelles, son atmosphère feutrée, sa nonchalance aux effluves de café et de chocolat. Encore une heure de route à travers de paisibles plaines que certains ont eu le mauvais goût de trouver mornes, avant d'arriver à Beloeil en Hainault, fief des princes de Ligne. Le village déploie déjà ses splendeurs automnales et se ramasse autour du château majestueux dans la cour duquel nous délaissons provisoirement notre véhicule. Beloeil : merveilleuse bâtisse de brique environnée d'eau et de jardins où s'ébattent naïades de pierre et oiseaux de toutes les couleurs. La famille de Charles-Joseph de Ligne, que Goethe appelait "l'homme le plus gai de son temps" et qui dédia cette demeure aux plaisirs de la vie et de la culture, est toujours là, orchestrant diverses manifestations qui font de Beloeil un haut lieu de tourisme.

Le "Versailles belge" accueille aujourd'hui Isabelle de Borchgrave, peintre et décoratrice bruxelloise qui embellit nos intérieurs depuis plus de trente ans et que Denis Roland, conservateur au Musée d'impression sur étoffes de Mulhouse qui l'exposa pour la première fois, appelle très justement une "chercheuse d'ornements". Depuis quelques années, elle poursuit avec la costumière de théâtre canadienne Rita Brown un travail sur l'histoire du costume et de la mode, en réalisant des vêtements grandeur nature en papier. Les salles du château de Beloeil sont l'occasion de mettre en scène ce travail qui se présente comme une passionnante promenade à travers l'histoire de nos habits : ici la robe d'Elisabeth I d'Angleterre à l'imposante fraise et au buste sévèrement corseté au-dessous duquel s'épanouit tout un bestiaire gambadant au milieu de fruits du verger ; plus loin celle, bucolique et fleurie, de Marie Antoinette ; ailleurs encore, la robe immaculée portée par l'impératrice Joséphine à l'imposante traîne ornée d'arabesques ; d'autres empruntées à la cour vénitienne de l'époque de Casanova, à l'Angleterre du 18e siècle, à la haute couture enfin, source inépuisable inlassablement travaillée par la créatrice et qui provoquent peut-être la plus grande fascination chez le visiteur.

Ces vêtements entièrement en papier et en volume sont placés sur des podiums et composent de splendides théâtres du costume. La bibliothèque réserve la surprise féérique d'une composition de robes blanches où l'on reconnaît le tailleur bar de Dior, une robe du soir à tournure, une fantastique robe à panier, des modèles des soeurs Callot, de Chanel, de Doucet, de Worth... Cet ensemble se détache sur les boiseries chaudes et les reliures cuivrées des livres ici conservés, et des pans diaphanes faits en non tissé repeints, imitant à s'y méprendre la dentelle, courent d'une galerie à l'autre, posant comme un léger nuage sur cette invention immaculée. Les vêtements sont réalisés d'après des pièces appartenant aux grandes collections textiles du monde entier, mais aussi d'après des peintures avec qui elles dialoguent parfois. Ainsi cette robe bleue, placée en face du portrait d'une princesse de Ligne, dont les reflets moirés ont été minutieusement rendus, évoquant aussi bien les veines d'un bois que cet écrasement du grain de l'étoffe qui provoque ces longs filets réfléchissant la lumière, si appréciés au 19e siècle. Isabelle de Borchgrave n'est pas "seulement" une chercheuse d'ornements.

Elle connaît intimement l'étoffe et la multiplicité de ses effets, elle en traque l'épaisseur, le mat et le brillant, le plein et le délié. Si son travail fascine, c'est qu'il révèle les états du matériau textile par le biais du papier, ici lustré comme un satin, là froissé comme les délicats plissés du vénitien Fortuny, là encore enrichi de paillettes comme dans les divines broderies d'un Lesage, transformé en nœuds, ruchés et volants et aussi chaussures, sacs et bijoux. Une salle reconstitue d'ailleurs l'atelier de la créatrice où s'amoncellent couleurs et papiers dont la texture est accessible au visiteur, qui peut ainsi apprécier, de la manière la plus tactile qui soit, ce dialogue intime entre tissu et papier et cette magie de la transformation qui anime ces inventions.
De retour à Bruxelles, un détour par la galerie Arthus s'impose pour découvrir une autre œuvre d'Isabelle de Borchgrave, fruit d'un voyage en Turquie qui lui inspira de nombreux portraits aux couleurs délicates qui exaltent le textile et l'ornement, et auxquels répondent de somptueux caftans travaillés eux aussi en papier. Talent exquis qui déploie les infinies possibilités de l'étoffe et un imaginaire merveilleusement inspiré.

 - Papiers à la mode
jusqu'au 20/11/2003 au Château de Beloeil (Belgique)
www.beloeil.be
infos : www.ideefixe.be
- Arthus Galerie Bruxelles (Ixelles),
33 rue Simonis, tél. +32 2 544 07 25
-Ph.: ©DR