Après la fin de l'art

 Par Isabelle d'Assignies

C'est une grande exposition à laquelle Jacques Beauffet et Martine Dancer nous convient au Musée d'art moderne de Saint-Etienne : Après la fin de l'art- 1945- 2003
Cette exposition, déclarée d'intérêt national par le Ministère de la Culture, regroupe des mouvements visant le dépassement de l'art, affichistes, monochromes, situationnistes, lettristes…
Tous ces mouvements ont été souvent présentés comme des groupes séparés. Ils ont influencé le cinéma, la publicité, la télévision et les médias.
L'exposition met en évidence "une histoire secrète du XXe siècle" de l'avant-garde européenne.

 - Une vie faisant œuvre elle même
Tout débute après le traumatisme de la dernière guerre mondiale. Les tentatives des différents groupes d'artistes de cette époque réfutent toute validité à l'œuvre d'art sous ses formes traditionnelles. Ils ne peuvent envisager l'activité artistique qu'à travers son dépassement.
"Après la fin de l'art", c'est alors dépasser l'art au profit d'une utopie esthétique et politique révolutionnaire, à réaliser dans une vie faisant œuvre par elle-même.
Eclatement du langage, subversion des modes d'expression traditionnels (peinture, cinéma, poésie), détournement, bouleversement de l'urbanisme, de la manière de vivre la ville, révolution de la vie quotidienne…tentatives d'échapper au spectacle….
Tous ces mouvements d'avant-garde lient le dépassement de l'art et la critique sociale de leur temps

 - La dérive
"La fin de l'art" est une expression de Guy Debord.
Le mouvement lettriste, et plus tard son aboutissement politique avec le situationnisme de Debord, prônaient un mode de vie décalé, dériver, se laisser dériver "au fil des actes, avec ses gestes, sa promenade, ses rencontres".
L'exposition du musée de Saint-Etienne se fonde sur le principe de la dérive.
Différentes salles se succèdent dans un dédale labyrinthique, "le spectateur est invité à dériver" dans des salles rouges, noires et blanches, dans des environnements sonores, musicaux, graphiques, poétiques…

Au gré de sa déambulation, le spectateur découvre le Lettrisme et la désintégration des mots (collages poétiques d'Isidore Isou), l'Internationale Lettriste (J.L.Brau, Guy Debord, Gil Tolman, théorie du détournement, le "dépeindre" pour Wolman, "la fin de l'art" pour Debord, la revue mythique Potlach, qui rend compte d'un mode de vie tumultueux, nocturne et dangereux, devenu œuvre d'"un art sans œuvre" ou "désœuvrement"), les Affichistes (Hains, Villéglé, Dufrêne), la Deuxième Internationale Lettriste (D.I.L.), les Monochromes, (Klein, Manzoni, Fontana), le Lettrisme 1958-2003, le Laboratoire expérimental d'Alba (qui se rapprochera bientôt du Bauhaus Imaginiste d'Asper Jorn), l'Internationale Situationniste, (Guy Debord, "le dépassement de l'art", les slogans affiches…), le Groupe Spur, (section allemande de l'Internationale Situationniste), l'urbanisme utopique (plans, maquettes de la ville utopique de New Babylon pour Constant), les peintures modifiées d'Asger Jorn, (interventions sur des œuvres du passé).
11 salles qui nous mènent, dans leurs dérives sonores et visuelles, aux dernières salles, celles où sont présentées les œuvres les plus contemporaines" près l'avant-garde", depuis la fin des années 80.

 - Après l'avant-garde
Dans ces salles contemporaines sont exposées les œuvres d'une nouvelle génération qui reprend et détourne "la grammaire des avant-gardes",
selon l'expression d'Olivier Blanckart.
Les processus d'anti-œuvres s'apparentent à ceux de leurs prédécesseurs situationnistes. On retrouve le détournement des symboles de la culture de masse, l'humour frondeur, l'utilisation de matériaux pauvres,
la critique de l'information et de l'idéologie dominante du spectacle.
Mais l'attitude  est différente et ne se fonde plus sur un corpus théorique ou idéologique.
Ces nouveaux "dé-créateurs", Olivier Blanckart, Thomas Hirschorn, Vincent Labaume, Jean-Luc Moulène, critiquent à leur tour la posture avant-gardiste du dépassement de l'art.
(prendre du temps pour la salle d'Olivier Blanckart !)

 - Une critique sociale de leur temps
Cette exposition "Après la fin de l'art" présente les tentatives de différents groupes d'artistes pour dépasser la notion d'art comme activité séparée, leur volonté d'articuler leur pratique artistique à une démarche sociale posant la question du positionnement de l'individu, dans le contexte de l'émergence de "la société de consommation".
Ces tentatives, nées à la fin de la guerre de 1945, se prolongent aujourd'hui. La "société de consommation" était alors "émergente". Les artistes œuvraient pour "échapper au spectacle". 60 ans après, la situation ne s'est pas arrangée, la société de consommation et la société du spectacle sont omniprésentes!
2003, Blanckart, Hirschorn, Moulène, continuent à pratiquer "une critique sociale de leur temps"… heureusement, il en reste quelques-uns, de ces artistes qui résistent aux conditionnements de notre époque, et leur travail nous rend visibles ces conditionnements.
Et heureusement, il y a des musées pour montrer ces artistes…

Commissaires de l'exposition :
Yan Ciret, Jacques Beauffet, Martine Dancer.
Musée d'art moderne de Saint-Etienne métropole
Du 22 novembre au 29 février 2004
T: 04 77 79 52 52

(1)Affiche de l'exposition
(2) François Dufrêne – Collaboration Jacques Villeglé
La baleine blanche (1958) - 1,10x1,25
Affiche lacérée sur contreplaqué
Collection G. Dufrêne
(3) Gilles-Joseph Wolman
Il est mort en toutes lettres (
1968) - 162x97 cm
Art scotch, adhésif sur toile et papier sur toile
Collection Spiess (Ph. : DR)