Hervé Bauer, Froidureux
Par Jean-Paul Gavard-PerretHervé Bauer est né à Paris, en 1952. I1 vit à Lyon, où il
enseigne la philosophie. Si son écriture témoigne d'un extrême souci de la forme, c'est au sens où celle-ci constitue un accès à la vie, comme rythme et respiration. C'est pourquoi il définit sa pratique comme poésie.
Cette exploration des régions les plus excentrées de la langue, cet "écart de langage" appelé poésie, apparente, pour Hervé Bauer, l'acte d'écrire aux opérations du lointain. A ce titre il a sans doute écrit
le livre le plus pertinent à ce jour sur Samuel Beckett. Dans un texte majeur et profondément poétique, il a su par sa propre écriture donner un écho rarissime à la quête de l'autre de l'Innommable. D'une certaine
manière il récidive à partir de l'œuvre de Patrice Giorda, peintre tourmenté par une recherche fiévreuse de la réalité des êtres et des choses à travers la couleur et la forme. L'artiste offre ainsi au regard une œuvre
forte qui évoque la souffrance mais aussi la sérénité, le souvenir, la mémoire. De sa rencontre avec le Hachebé de Hervé Bauer est né le beau frontispice qui inaugure le livre du poète. Ce frontispice inspiré par une de
ses toiles, image prémonitoire qui nous plonge immédiatement dans l'étrangeté du périple accompli par le héros qui vit sur la frange élimée qui borde le sommeil et qui fait se poursuit son aventure en une nuit de fable.
Et c'est ainsi que l'histoire ou plutôt l'écriture descend dans un univers de l'ineffable en une sorte de remémoration utérine qui trouve là de quoi sortir de tout ce qui retient, de tout ce qui nous retient. Nous ne
puisons pas seulement là la miroitante matière de ses songes. Bauer, comme toujours, fait ainsi remonter des images englouties arrimées à l'inconscient et que seulement et généralement l'embarcation de la nuit berce de
sa cargaison chimérique. Nous sommes ainsi au seuil de l'insomnie; nous mesurons le lointain qui nous sépare de ce quai où la maison de l'être pourrait trouver son assise. Rien de plus mais rien de moins. Ni (malgré le
titre) le froid sidéral. Juste les images dont jusque-là la pupille avait déserté les lieux. Il faut donc poursuivre le voyage et reconstituer à travers celles de Bauer nos propres images. " Pas à pas nulle part "
(Beckett) entre le bref rougeoiement du vif et le royaume des morts quand ayant allumé son vitrail jusqu'à une heure avancée de la nuit, les mots constituent des sortes d'empierrements en arcs qui ne serrent pas
seulement le corps des gisants. Mais ce n'est plus la nuit qui traque l'œil, c'est l'œil qui traque la nuit. Froidureux
permet ainsi de passer des nuits blanches. On marche sur les eaux, avec au loin des toits à la dérive où résonnent des cloches englouties.
Hervé Bauer, Froidureux, coll. Carnet des Sept Collines, éditions J-P Huguet, St Julien Molin-Molette. |