Jeanne Hyvrard,
Le fichu écarlate

Par Jean-Paul Gavard-Perret

Deleuze a bien montré dans son essai sur Foucauld et en particulier dans le chapitre "Le visible et l'énonçable" combien la vérité, plus complexe qu'une simple affirmation de principes et d'évidences, se constitue de "couches sédimentaires" faites de mots et de voix mais pétries aussi de silence et d'imprononçable. C'est à certaines de ces voix que Jeanne Hyvrard donne voie. Et soudain entre le droit (ce qui est présenté pour juste, vrai et bon ) et la délinquance (ce qui est offert pour faux, mensonger, mauvais) il n'existe plus de ligne précise de démarcation. A ce titre, le mot "fichu" dans son ambiguité à lui seul est le parangon de la problématique de ce conte. Il démontre et illustre combien toute vérité est une construction.

Jeanne Hyvrard n'exclut plus les secrets sémantiques qui génèrent les mots d'une société qui elle-même dérobe la vérité en l'enrobant de mots foulards et de règles idem. Ici d'une certaine manière c'est sinon la du moins les bêtes qui parlent, qui "dialoguent" vraiment avec la petite fille. Enfant presque perdue, "enfantôme" elle tente pourtant de s'annexer sa propre vérité jusque là passée sous silence. Certes ce n'est pas gagné : le livre ne finit pas forcément bien mais Lara ne sera pas enfermé dans l'asile d'un sens unique de l'image et du mot. Face à la bienséance - qui exclut la vérité - du permissif a lieu. Et dans sa naïveté Lara sait que de l'évidence de vérité à la vérité d'évidence le pas n'est pas si loin. Face au leurre de cette évidence (qui n'est souvent qu'un évidemment) elle poursuit ainsi sa quête animalière. C'est le seul moyen pour nous comme pour elle de n'être pas naturalisé de notre vivant ici-même, ici-" bas ". Un tel livre est donc absolument nécessaire.

Jeanne Hyvrard, Le Fichu écarlate, Éditions des Femmes, Paris, 79 pages
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