Nuits de Fourvière par Yves Neyrolles I La Galigo / Les Bacchantes / Le Square
Le sommaire des Nuits de Fourvière 2003 indiquait déjà l'ambition de donner à cette manifestation un caractère nettement international et prestigieux.
Le programme annoncé pour 2004 confirme cette intention. Les spectacles que nous allons découvrir ont pu être montés grâce à un judicieux système de co-production avec des structures d'autres villes comme Barcelone,
Singapour, New York, Amsterdam, ou encore avec l'ENSATT de Lyon, le Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, le Cargo de Grenoble, ce qui permet
d'inviter ou de ré-inviter des créateurs aussi exceptionnels que peuvent l'être Robert Wilson, Luca Ronconi ou Didier Bezace. Voici une vingtaine d'années, Peter Brook nous faisait découvrir l'immense épopée indienne du Mahabarata, dans une vaste carrière proche d'Avignon.
Le public d'ici sortait — enfin — du seul domaine occidental des grandes œuvres.
Bob Wilson, lui, entreprend de marier le théâtre, la danse et la musique pour nous faire vivre quelques unes des 6000 pages d'un poème épique indonésien
qui continue d'exercer son emprise sur l'imagination et la sensibilité des habitants de la péninsule sud-ouest de l'île des Célèbes. Là, des descendants du peuple Bugis (prononcer bouguiss), une ethnie constituée
essentiellement d'agriculteurs et de pécheurs (mais aussi de quelques navigateurs), ont su conserver vivantes, malgré leur conversion à l'islam au début du XVIIe siècle, les traditions ancestrales
développées au fil des pages d'un véritable monument littéraire intitulé Surek Galigo. Il s'agit là tout à la fois de théogonie et de cosmogonie, d'origine et de
purification du monde, d'aventures terrestres exemplaires mais aussi chargées de symboles dont la valeur ne cesse de se réactiver dans le tissu des histoires
individuelles composant peu à peu une immense épopée à interpréter et à ré-interpréter comme un mythe qui n'en finit pas d'offrir de nouvelles questions.
Rhoda Grauer, auteur de l'adaptation, dit bien à quelle hauteur se situe l'entreprise qui, depuis plus de quatre ans l'unit à Bob Wilson et rassemble une cinquantaine de comédiens, musiciens et danseurs d'Indonésie :
"Le défi de ce projet n'est pas seulement la création d'un spectacle qui unit la tradition et le folklore du peuple Bugis au langage théâtral, moderne et
visionnaire de Robert Wilson, mais aussi, et surtout, le désir d'ouvrir la porte à de futures recherches sur ce poème extraordinaire, peu connu, d'une qualité littéraire et d'une inventivité poétique exceptionnelles. "
Pour ceux qui, depuis Le Regard du Sourd ou, à Villeurbanne, Edison, suivent le parcours de Bob Wilson, ce sera naturellement l'occasion de
découvrir de nouvelles images qui, longtemps après leur production dans le moment du spectacle, vous reviennent et vous hantent comme toutes les
créations fulgurantes que certains, heureusement, ont la générosité de nous offrir.Après Prométhée enchaîné, présenté en juin 2003, voici, comme annoncé à
l'époque (voir Plumart N°54 ), le deuxième volet d'une création du Teatro Piccolo de Milan. Luca Ronconi poursuit son investigation de la tragédie grecque telle que nous pouvons l'aborder avec le regard et la réflexion
d'aujourd'hui. Ce n'est pas une modernisation, mais, comme il l'a déjà fait pour Prométhée, une véritable quête sur ce qui peut, à l'heure présente, avec
la sensibilité, les préoccupations, les "acquis", l'âme (ou l'esprit ) qui sont les nôtres, nous surprendre encore dans l'écoute vivante de cette "fable" d'Euripide, Les Bacchantes
, la plus mystérieuse des pièces antiques. Dans son exploration des rapports entre le divin et l'humain, Luca Ronconi met en scène l'unique œuvre dont un dieu est le personnage principal. Divinité
du vin et des festivités théâtrales, Dionysos est aussi un être humain et toute la mise en scène se charge de souligner cette ambiguïté. Le citoyen d'aujourd'hui, tout pétri de mondialisation, occupant une part de
plus en plus grande de son temps à regarder un nombre toujours croissant de chaînes de télévision ou à surfer sur les vagues infinies de l'internet, est-il si
éloigné du citoyen d'Athènes assistant au rituel du théâtre sous un ciel plus lourd alors d'énigmes et de signes mystérieux que ne l'est celui que traversent
nos vaisseaux — même plus équipés d'ailes —, nos sondes spatiales et des centaines de cerveaux artificiels mis sur orbite? D'une belle nuit de juin, le
théâtre pourrait susciter de nouveau en chacun de nous une rêverie et une méditation essentielles. Mais revenons sur terre, et plus précisément sur l'ultra quotidien de notre vie
très quotidienne, sur ce petit bout, ce petit bloc de matière dont le plus souvent nous ne percevons même pas qu'il est un grain de l'univers, que veille
et qu'entretient son étoile, soleil d'énième grandeur par comparaison à tant d'autres soleils plus éclatants, des Sirius, des Véga…L'Odéon, le petit théâtre accolé à son grand voisin, accueillera une pièce de
Marguerite Duras, une de ses pièces parmi les plus "terre à terre" qui soit, sans doute : dans un square, parmi les bruits des jeux d'enfants, deux inconnus
engagent un semblant de conversation. Cela commence par des mots sur le temps, sur les bonnes résolutions, les mauvaises habitudes. L'ordinaire
domestique défile à deux voix, qui s'élèvent peu à peu des ébats puérils, du chœur des enfants. Marguerite Duras avait ce don étonnant de faire surgir d'un rien, du propos le
plus banal, quelque chose d'inouï, quelque chose qui se mettait à parler singulièrement de l'humaine condition et à faire parler cette condition-là
jusqu'à son terme d'intensité insoutenable: le tragique, tout simplement. Le Square que présente Didier Bezace complétera donc parfaitement Les Bacchantes re-visitées par Luca Ronconi et I Galigo, proposé par Robert
Wilson — trois moments majeurs parmi d'autres, également forts, au cours des Nuits de Fourvière 2004. I LA GALIGO Un spectacle de théâtre musical inspiré par SUREQ GALIGO, poème épique des Célèbes Adaptation et dramaturgie : Rhoda Grauer
Mise en scène, décor et conception des lumières : Robert Wilson Grand Théâtre : 8, 9 et 10 juin à 21 h 45 LES BACCHANTES d'Euripide Traduction, adaptation : Maria Grazia Ciani
Mise en scène : Luca Ronconi Grand Théâtre : 19, 20 et 22 juin à 21 h 45 LE SQUARE de Marguerite Duras Mise en scène : Didier Bezace Odéon : 14 et 15 juin à 21 h 30 Renseignements : 04 72 32 00 00
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