La Maison Rouge
Fondation Antoine de Galbert

Par Catherine Ferey

L'ouverture d'un nouveau lieu pour l'art contemporain est toujours une heureuse nouvelle. La reconversion des galeries du Jeu de Paume en espace dédié à la photographie, fut-elle contemporaine,
avait privé la capitale d'un espace d'exposition pour l'art contemporain.
De plus, les initiatives privées sont rares, même si le grand chantier de l'Ile Seguin accueillera, d'ici quelques années, une nouvelle fondation dédiée à l'art contemporain.

Antoine de Galbert, galeriste grenoblois et grand collectionneur, installe sa fondation privée dans une ancienne usine, face au port de l'Arsenal, dans le quartier de la Bastille.
2000 m2 organisés en quatre salles d'exposition répartis autour d'un pavillon "la maison rouge", y accueillent l'art contemporain, depuis le 5 juin 2004.

Antoine de Galbert a confié la réhabilitation d'une friche industrielle à Jean-Yves Clément – agence Amplitude à Grenoble, après avoir consulté un jury composé, notamment, de François Barré et Frédéric Edelmann. Le projet s'est attaché à préserver des témoins de l'architecture industrielle: les verrières et les proportions. Le cœur du lieu, "la maison rouge" était une unité d'habitation de trois niveaux encerclés de verrières.
Elle abrite aujourd'hui les bureaux de la fondation.
Les quatre salles d'exposition, couvrant une surface de 1300 m2, ont toutes des configurations différentes, invitant à la déambulation.
Une salle de conférences, une librairie spécialisée et un café complètent les services que la fondation offre aux publics.

Jean-Michel Alberola s'est chargé de l'aménagement des espaces d'accueil. La frise de mots qu'il fait courir sur les murs de l'entrée et du café évoque le rapport d'Antoine de Galbert aux objets. On y lit des extraits d'un manuel d'ethnographie du 19e siècle qui décrit le contenu du panier du féticheur de la région du Lac Tanganyka ou la liste des ouvrages qu'Arthur Rimbaud, alors en Abyssinie, demande à sa mère et à sa sœur.
Antoine de Galbert n'a pas choisi d'exposer sa collection personnelle à La Maison Rouge, mais d'en faire un lieu d'accueil d'autres collections particulières, deux fois par an. Le reste de l'année est consacré à des expositions monographiques ou thématiques.
La programmation 2004-2005  verra trois expositions se succéder :
L'intime, le collectionneur derrière la porte
Commissaire de l'exposition Gérard Wajcman  (exposition jusqu'au 26 septembre 2004)
Collection Harald Falckenberg (d'octobre 2004 à janvier 2005)
Ann Hamilton
Première présentation monographique des œuvres de l'artiste américaine à Paris, présentée de février à mai 2005.

"L'intime, le collectionneur derrière la porte" – Exposition inaugurale
"Il suffit d'avoir eu un jour l'occasion d'y jeter un œil pour savoir que l'intérieur de la maison d'un collectionneur n'a rien d'un lieu d'exposition... les œuvres n'y sont pas à proprement parler "accrochées",
elles sont là, tout simplement, souvent partout, dans le désordre quotidien de la vie... (...) le souci du collectionneur n'est pas de voir les œuvres, mais de vivre avec elles, en entrant chez lui, les œuvres entrent d'abord dans sa vie, aussi bien dans son passé, dans sa chambre, éventuellement dans son lit, assurément dans sa tête – dans ce qui constitue pour chacun le plus intime. Elles peuplent et occupent son monde. Autant dire qu'elles sont son monde... ".
Gérard Wajcman dresse le profil du collectionneur et l'exposition qu'il a organisée est la fidèle illustration de ses propos. On y verra la reconstitution de pièces, vestibule, salle à manger, salon, bureau... A l'exception du vestibule qui rassemble des œuvres appartenant à Antoine de Galbert, toutes les autres pièces sont anonymes. Le nom de la pièce d'habitation sert de nom propre aux "maisons" reconstituées que le visiteur est invité à regarder en restant sur le pas de la porte. Dans la salle à manger, le design, représenté par Charlotte Perriand, Martin Szekely ou les frères Bouroullec, rencontre la photographie avec des œuvres d'Hiroshi Sugimoto, Claude Levêque ou Steve McQueen. Une autre salle à manger, aux dimensions plus modestes que la précédente, est meublée d'une table de Richard Peduzzi et de chaises de Robert Wilson. On y voit une collection de céramiques et des œuvres d'Erik Dietman ou Sigurdur Arni Sigurdsson. Dans le salon des fauteuils de Mies van der Rohe et une commode du 18e sicèle côtoient une sculpture en albâtre d'Ettore Spalletti et des tableaux d'Ange Leccia ou Bernard Frize.

Passons dans la réserve. Beaucoup de collectionneurs n'ont pas la place nécessaire pour conserver toutes leurs oeuvres à leur(s) domicile()s et louent des lieux de stockage dans des entreprises spécialisées. Bien que reléguées, ces œuvres n'en font pas moins partie de collections. Une halte dans les toilettes pour y découvrir des vidéos, une collection de reliquaires et un ensemble de photographies de Bernd et Hilla Becher. Une sculpture de Paul McCarthy se reflète dans le miroir de la salle de bain. De grandes toiles de Rebeyrolle et Maryan sont accrochées dans la cage d'escalier. Longeons le grenier. Plus de cent têtes, reliques, objets cultuels d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et d'Amérique du sud y sont conservés, donnant l'impression d'entrer dans un musée d'ethnographie du début du 20e siècle. Le collectionneur, sensible également à l'art contemporain, a organisé cet espace pour y recevoir ces œuvres très fortement "chargées".

L'univers de la chambre mérite de s'y arrêter longuement, dans le passage qui a été aménagé et qui coupe la pièce en deux pour que le visiteur puisse y entrer. Des œuvres d'art primitif et des productions de Gina Pane, Tetsumi Kudo, Arnulf Rainer ou Hermann Nitsch entourent un lit borné aux quatre coins de caméras de surveillance avec leurs moniteurs, œuvre d'une jeune artiste américaine, Julia Scher. Au sous-sol, la liste évoque un collectionneur qui a choisi de déposer sa collection dans de grands musées européens et vit dans une maison résolument vide. Enfin, le regard projette une série de diapositives choisie parmi les milliers de clichés pris par Daniel Arasse et qui constituaient sa collection de "détails de peinture", témoignages de son approche des tableaux et de l'histoire de l'art. Juste avant de quitter l'exposition, l'Or du Rhin , œuvre vidéo, évoque la collection constituée par un jeune homme passionné qui a volé plus de 200 œuvres dans des musées européens avant d'être arrêté. Sa mère, égarée par la peur, en a jeté la plus grande partie dans un canal proche.
Chacun des seize espaces, occupés par quelque cinq cent œuvres, confronte le visiteur à seize intimités. Il sort troublé de ces intrusions répétées.

La maison rouge – Fondation Antoine de Galbert
www.lamaisonrouge.org
La maison rouge – Fondation Antoine De Galbert (Paris)
Copyright photo : Christian Courrèges
"L'Intime, le collectionneur derrière la porte"
Copyright photo : Marc Domage