Madame Grès

Par Martine Hayat

" Je voulais être sculpteur. Pour moi c'est la même chose de travailler le tissu ou la pierre"
et c'est d'une vocation contrariée que Germaine Emilie Krebs, se lance en 1934, sous le nom d'Alix, dans la création de "toiles", prototypes de robes, vendues à des commissionnaires.
Elle entre ensuite comme modéliste chez l'une de ses amies et signe les costumes de la pièce de Jean Giraudoux, "La Guerre de Troie n'aura pas lieu".
Elle en créera également pour d'autres pièces de théâtre.
C'est à cette époque qu'elle réalise les premiers drapés qui feront son succès, utilisant des jerseys spécialement réalisés pour elle, en grande largeur. A la veille de la guerre, le Tout Paris du monde et du spectacle se presse à sa porte: la duchesse de Talleyrand, la Begum, Marlène Dietrich, Greta Garbo, Arletty, … En 1934, à l'Exposition Universelle à Paris, elle obtient le premier prix de la Haute Couture. En 1941, elle ouvre sa propre maison sous le nom de Grès (quasi anagramme du prénom de son mari, Serge Czerefkov). Très discrète, fuyant toute mondanité, elle consacre son énergie et son talent à la création de toilettes raffinées et élégantes, à la ligne fluide épousant les mouvements du corps. Le textile joue un rôle primordial et le jersey de soie devient son matériau de prédilection.

Après la guerre, la maison de couture reprend son activité. Madame Grès suit de près l'évolution de la mode mais rien ne viendra perturber sa créativité,
ni les innovations de Pierre Cardin en 1960, ni celles de Courrèges ou d'Emmanuel Ungaro, ni le nouveau concept de "créateur de mode" dans les années 70, illustré par Thierry Mugler, Claude Montana ou Jean-Paul Gaultier, ni dans les années 80 avec l'arrivée de stylistes japonais comme Kenzo.
Elle traverse quarante années de mode,
toujours en quête de son style personnel et d'une forme d'élégance qui n'appartient qu'à elle.
Ses toilettes restent intemporelles comme les œuvres de grands artistes.
Elle reçoit entre autres nominations ou distinctions, en 1976, pour sa première édition, le Dé d'Or de la haute couture, créé à cette occasion par le joaillier Cartier, qui lui sera remis par Jean-Claude Brialy, à l'occasion de sa collection automne-hiver 76-77.
Ses modèles séduisent toujours autant mais sa façon de travailler et de diriger sa maison, refusant toute création et diffusion autres que les modèles de haute couture alors que le prêt à porter triomphe, la mène à des difficultés financières grandissantes. En 1984, elle cède sa maison à Bernard Tapie qui la revend à Jacques Esterel, grâce à qui ce qui restait des modèles de la collection personnelle de Madame Grès n'a pas été dispersé.
Le 24 novembre 1993, elle s'éteint dans le plus parfait anonymat. Le monde de la haute couture et de la mode n'apprendra sa mort qu'un an plus tard.

L'exposition réalisée au Musée de Bourgoin-Jallieu met en scène 70 modèles sur les 250 pièces préservées par Jacques Esterel. Tenues de ville ou de plage, robes de cocktail ou du soir, ces toilettes sont présentées sur des mannequins de craft ou de mousse, conçues aux mesures intérieures de chaque vêtement. Cinq spécialistes ont participé au "mannequinage" assistés par une quarantaine de jeunes stagiaires, à la suite d'un partenariat avec deux classes de BTS et CAP "matériaux souples" et "couture floue" des lycées de Grenoble et de Bourgoin-Jallieu. Ont également aidé à cette exposition d'anciennes ouvrières ou mannequins, toujours heureuses d'évoquer leur maison.
En trois volets: Madame Grès – les étapes de sa création – sa maison de couture, cette exposition présente outre des toilettes magnifiques (on se prend à rêver…), des documents, des photos, des témoignages qui enrichissent ce parcours de quarante années de création.

"Madame Grès, entre ombre et lumière",
Musée de Bourgoin-Jallieu, 17, rue Victor Hugo, 38300.
Tél. : 04-74-28-19-74.
Jusqu'au 31 janvier 2005.

- Catalogue avec des textes de Brigitte Riboreau (conservateur du Musée de Bourgoin-Jallieu) et Martine Villelongue de l'Université de la Mode
- A noter que parallèlement à l'exposition, des ateliers sont proposés aux adultes ainsi qu'aux enfants pendant les vacances scolaires. Une action est également menée avec le Centre psychothérapeutique de Vion (38) dans le cadre de "Culture à l'hôpital" (Convention Etat/Région) d'une part avec l'artiste plasticien Jean-Marc Cerino d'autre part avec Les Abattoirs / Scène des musiques actuelles.

1- Robe du soir, jersey de soie année 72/73
2- Robe du soir, taffetas de soie bleu, milieu 70, DR Jacques Esterel
Photos : Louis Freyssinet ©DR