*** Terre et Cendres (Khakestar-O-Khak)
Réalisateur: Attiq Rahimi (Afghanistan)
Prix du Jury Presse  " Etoile et Toiles d'Asie " (Lyon 2004)

Par Christian Delvoye

Dastaguir est assis sur le bas-côté de la route, son jeune petit-fils Yassin auprès de lui.
Un paysage afghan désolé se déploie autour d'eux, un pont à moitié démoli, une rivière asséchée en contrebas, des montagnes arides au loin et un chemin poussiéreux qui mène tout droit vers l'horizon. Ce chemin mène à une mine, destination finale et redoutée de Dastaguir où travaille son fils, le père de Yassin.
Déchiré entre les codes d'honneur si profondément ancrés dans l'esprit afghan, il doit lui annoncer que leur village a été bombardé, que toute la famille a été détruite et que sa femme s'est suicidée après avoir été violée par les soldats.

Avec beaucoup de réserve, ce premier film du réalisateur Attiq Rahimi suit les traces d'un patriarche afghan, accompagné de son petit-fils, à travers un Afghanistan déchiré par la guerre, pour apporter une mauvaise nouvelle à son fils, le père de l'enfant, qui travaille dans une mine lointaine. Cinéma afghan d'après guerre, ce film marie l'émotion retenue et le rythme contemplatif qu'on retrouve dans le cinéma du Moyen-Orient (Iran, Irak, Afghanistan...). On détecte cependant des influences occidentales par l'emploi de l'écran panoramique, par exemple, par les flash-back et les séquences de rêves. Retournant dans son pays natal pour filmer une histoire qui aurait pu se passer n'importe quand dans les vingt dernières années, Attiq Rahimi, adaptant son propre roman, emploie un canevas simple, sans fioritures, qui met en scène trois générations, chacune détruite à sa manière par une guerre implacable, constante, qui se déroule pour des raisons que personne ne peut comprendre. Le film a été tourné dans la région de Mazar-e-Sharif, célèbre pour les combats féroces qui s'y étaient déroulés entre prisonniers talibans, combattants arabes et forces anglo-américaines. Contrairement aux films récents tournés en Afghanistan, qui présentent une regard occidental sur ce pays et sa culture, Terre et Cendres , comme le pont, son décor principal, nous renvoie à une histoire qui se trouve à la croisée de plusieurs cultures et mythologies. La plus grande partie du film se passe autour des ruines d'un pont à moitié détruit. D'un côté, la baraque du garde-barrière de la route qui mène à la mine, de l'autre l'échoppe où un réfugié de Kaboul qui vend de la nourriture et donne des conseils avisés aux rares passants traversant le désert. En attendant le camion journalier, le vieil homme effrayé à l'idée que son fils devienne fou en apprenant la mauvaise nouvelle, se demande s'il devrait continuer son voyage, tandis que le petit garçon, qui ne réalise pas qu'il est devenu sourd durant le bombardement  mais pense que tout le monde autour de lui est devenu muet, joue à l'intérieur d'une carcasse de char soviétique détruit. Bien que, selon les standards occidentaux, le film soit bien trop lent, tant par la dimension du temps dans cette partie du monde que par une certaine complaisance vis-à-vis des protagonistes, Terre et Cendres se rachète grâce à ses paysages spectaculaires, où les couleurs et les formes sont plus éloquentes que n'importe quel message que le script essayerait de délivrer. Le choix d'acteur non professionnels est particulièrement heureux. Abdul Ghani, le vieil homme, semble porter sur son dos toute la misère du monde, tandis que le garçon, Jaman Ward Homayoun est parfait, n'ayant pas encore les défauts qu'on retrouve en général chez les enfants stars. Terre et Cendres est une fable sur la perte dévastatrice, la Rédemption et la persévérance de l'esprit humain face aux atrocités de la guerre. Finalement l'allégorie est ici évidente: le passé, le vieil homme, est une vallée de larmes, le futur, l'enfant, est déjà mutilé quant au présent, le père, il est absent.

****Coup de Folie ***Coup de Cœur **Coup d'œil *Coup de Pied
Photo : Dastaguir et Yassin dans les ruines du village (c) Films du Lendemain