Costumes traditionnels de Grèce Par Odile Blanc
Le Musée des tissus de Lyon présente cinquante costumes traditionnels de Grèce provenant des collections du théâtre Dora Stratou à Athènes, faisant ainsi écho à l'"Olympiade culturelle 2004"
mise en place au moment des derniers jeux olympiques. En 1953, Dora Stratou fonde l'association "Danses grecques-Dora Stratou", dont elle est la présidente durant trente ans. Dans ces danses traditionnelles,
folkloriques, sans la connotation péjorative qui est souvent associée à ce mot en français (l'actuel président du Théâtre Dora Stratou souligne du reste, dans le catalogue, combien le qualificatif traditionnel
est désormais synonyme de pur, éprouvé, solide), l'importance du costume est évidemment capitale. Dora Stratou, sensible à cette importance du costume et à son rôle comme vecteur de
traditions ancestrales, commence à collecter des pièces de vêtement de diverses régions de Grèce, ainsi qu'à considérer les danseurs-acteurs de sa
compagnie comme les diffuseurs de ces traditions. Aujourd'hui, ce sont 2 500 costumes qui, après avoir fait de la scène, rejoignent le vestiaire du théâtre où
ils sont soigneusement conservés et référencés, comme dans un musée. Mais à la différence d'un musée, ils continuent d'être portés lors des représentations,
et n'hésitent pas à voyager. De la sorte cette institution singulière qui est à la fois théâtre, école de danse et musée, a contribué à préserver un immense patrimoine, pour la première fois visible en France.  Déclarée "Patrimoine national grec" et remontant à la fin
du XIXe siècle, cette collection montre la complexité géographique et culturelle de la Grèce, qui ne se réduit pas à l'image quelque peu phantasmatique d'une Grèce antique unie et uniforme, surgie d'un ex-nihil
mythique et sans rapport avec les pays et cultures voisines. Ces costumes traditionnels attestent les divergences culturelles et les emprunts extraterritoriaux.
Ainsi voit-on l'influence de l'Occident, les îles Ioniennes ayant été longtemps sous la domination vénitienne. La chemise, dite dalmatique, ne rappelle-t-elle pas des
modèles médiévaux, eux-mêmes empruntés aux traditions byzantines? La coiffe des femmes de Corfou ne présente-t-elle pas une ressemblance stupéfiante avec celle des
personnages féminins des manuscrits de Boccace, tandis que leur robe rappelle celle des élégantes du XIXe siècle? Les somptueuses robes manteaux
de la riche région de Konya, en soie façonnée et aux parements de fourrure, portées avec une coiffe prolongée à l'arrière par un voile, ne sont-elles pas
elles aussi confectionnées sur le modèle des vêtements médiévaux? N'ont-elles pas encore quelque ressemblance avec les modes russes ou polonaises
recueillies dans les livres de costumes de la fin du XVIe siècle? Le costume des riches patriciennes de Veria (Macédoine), présente un curieux assemblage
dont la silhouette évoque les modes occidentales du début du XXe siècle, jusqu'au minuscule chapeau rappelant les bibis à voilette des élégantes
parisiennes. Celui des femmes de la région de Zagori (Epire), avec davantage encore de sobriété, adopte également la mise occidentale, recouverte cependant d'un étonnant manteau valaque sans manches, largement ouvert
devant et qui ne couvre en réalité que le dos, réalisé dans une épaisse laine noire entièrement rebrodée de soie rouge dans un point de bouclette
époustouflant. La présence turque est bien sûr forte et durable, mais elle n'a pas la même intensité sur tout le territoire. Ces robes manteaux à longues
manches laissant paraître les broderies de la chemise aux poignets et au bas des jambes, appelés parfois caftani, n'évoquent-elles pas le caftan des
populations orientales? Bijoux, ceintures et dagues (pour les – rares – vêtements masculins présentés) aussi.  Les tissus, comme les techniques, présentent de la même manière de multiples emprunts et aménagements. Ainsi le satin façonné et le tissu d'or qui l'accompagne,
sur le costume féminin provenant de la petite île de Trikeri, est probablement fabriqué en Orient, mais imite incontestablement des tissus européens, et même des tissus d'or utilisés pour les ornements liturgiques.
Le lampas à fond d'or du gilet et de la robe portés par les femmes de l'île de Skyros évoque quant à lui les soieries lyonnaises de l'époque de Louis XVI. Les tissus façonnés étaient pour la plupart importés,
de Perse comme d'Occident, la passementerie venait parfois de Saint Etienne ou de Lyon, par exemple de l'atelier d'Henriette Letourneau, qui tissa de multiples galons, entre 1925 et
1978, aujourd'hui conservés par l'association Soierie vivante. Bien entendu, ces costumes ne témoignent pas seulement des échanges culturels et
commerciaux que traduisent à l'évidence ces emprunts, mais de l'ingéniosité et de la spécificité des techniques de chacune des régions présentées. D'une
manière générale, comme l'indique un ensemble de panneaux précisant avec une grande clarté les diverses techniques textiles utilisées, auxquelles le
catalogue consacre plusieurs articles confiés aux spécialistes de ces domaines, ces costumes traditionnels sont une démonstration éclatante du savoir-faire de
ces populations en ce qui concerne notamment la broderie et la dentelle, où la couleur se mêle parfois aux fils d'or et d'argent. La richesse de ces costumes, présente dans leurs matériaux, dans les
techniques textiles employées et dans les bijoux qui les ornent avec surabondance, rappelle leur usage circonstancié et fortement symbolique. Ce
sont en effet, à quelques rares exceptions près, des costumes de mariées, dans lesquels la richesse de la promise doit s'exprimer à haute voix: la mariée porte
sa dot à la vue de tous. La symbolique des pièces de costume donne lieu à de savants commentaires dans le catalogue, tout comme les emprunts extrêmement variés et ingénieux dont j'ai fait mention. On regrette que ces
éléments fortement signifiants n'aient pas donné lieu à un véritable parcours scénographique qui en souligne la valeur symbolique, sociale, géographique et
pour tout dire anthropologique. Du haut de l'escalier qui conduit à la salle d'exposition temporaire, il est un peu déroutant de découvrir cette forêt de
costumes de mariées, provenant de régions et de traditions fort variées, posés de manière uniforme et hors toute contextualisation, sur un sol de galets rappelant sans doute les rivages méditerranéens. Costumes traditionnels de la Grèce 29 octobre 2004 - 30 janvier 2005
Musée des tissus de Lyon 34 rue de la Charité F-69002 Lyon Tél. + 33 (0)4 78 38 42 00Photos extraites du catalogue de l'exposition : ©DR
p. 42 : Motif de femme faisant la ronde. Broderie, détail d'une chemise, Perachora, Corinthe
p. 71 : Gilet long en laine brodée, veste, jupe et tablier en satin façonné, chemise en toile, calot en toile grattée, Zitsa, Epire p. 81 : Gilet long en laine brodée, etc. Perachora, Corinthe |