Imprimer sur tissu et sur papier Par Odile BlancDans le cadre des manifestations
Tissu/Papier: échanges d'impressions, organisées par l'Institut d'histoire du livre à partir de juin 2005 et jusqu'à la fin de cette année, le Musée de l'imprimerie de Lyon présente les
divers procédés d'impression au moyen desquels on décore les tissus comme les papiers. D'où le verbe choisi pour le titre de cette exposition : il s'agit de montrer non seulement
des produits finis, mais les outils qui servent à leur réalisation. L'un des grands mérites de cette exposition est en effet d'avoir sélectionné,
non seulement des productions papetières et textiles de grande qualité et parfois d'une grande rareté (une toile du XIVe et une indienne du XIXe prêtées par le Musée des tissus de Lyon, par exemple), mais également des
outils de production qui apparaissent aussi comme d'étranges et merveilleux objets, si l'on veut des œuvres à part entière. Le bois gravé tibétain, d'une
respectable antiquité, utilisé pour imprimer des formules de prières, la planche gravée à picots et laiton pour un angle de mouchoir qui imite toutes les finesses
de la dentelle, les grandes lettres de bois utilisées au XIXe et encore au début du XXe siècle pour les affiches, les lettres ornées en alliage de plomb utilisées
pour des travaux publicitaires, le cylindre en bois et en relief pour le tissu et le papier peint, celui en métal gravé électroniquement pour des publicités de
lingerie des années 1975 (merveilleux soutiens-gorge, gaines et autres "sudettes" devant lesquelles fuyaient les capitons), les cylindres de cuivre et les
molettes (petits rouleaux qui servaient à graver lesdits cylindres) aux innombrables motifs moirés, guillochés, fleuris…, pochoirs japonais en carton
découpé ou leur transposition française en zinc, cadres d'impression toujours utilisés dans la soierie lyonnaise haut de gamme. Et quelques phénomènes de foire, si l'on ose dire: le fougeadoire, instrument tout de fer hérissé qui titille l'imagination, dont la destination est de recevoir,
sur son cadre articulé, une feuille de caoutchouc dont la plasticité sert à agrandir et même à déformer une image à reproduire; la planche à godets, qui permet d'imprimer plusieurs couleurs sur un tissu en un seul
passage, par un ingénieux système d'alimentation de ses réservoirs; enfin, en modèle réduit, un atelier d'impression sur étoffes à la planche telle
qu'on la pratiquait au XIXe siècle. Tous ces outils et procédés de fabrication sont présentés avec les produits qui en résultent (tissus, affiches, estampes,
livres) dans un souci constant – et ô combien louable – de captiver l'intelligence pratique du visiteur tout en sollicitant son imagination. Confronté à la grande diversité de ces techniques comme aux merveilleux
objets qu'elles permettent de réaliser, l'œil court sans cesse des unes aux autres et l'esprit s'aiguise à la présentation de ces deux "histoires parallèles"
que sont l'impression sur tissu et l'impression sur papier, qui se sont longtemps ignorées tout en empruntant les mêmes techniques, mais aussi les mêmes
images. Ainsi retrouve-t-on, dans les fameuses toiles de Jouy du XVIIIe siècle comme dans les estampes des livres, les scènes familières aux lecteurs de romans et de fables contemporaines, telles celles empruntées à
Paul et Virginie, best seller incontesté. Les portraits lithographiés, celui du tsar Nicolas II comme celui de la célèbre comédienne Mademoiselle Mars, qui
triomphe sous l'Empire, s'impriment sur soie ou sur coton, le tissu (le mouchoir surtout) propageant ainsi l'image des étoiles du moment. Le mouchoir, accessoire devenu indispensable et qui bénéficie des nouveaux
procédés tinctoriaux comme il diffuse des idées et des images de célébrités, s'orne aussi de "pot pourri", décor très en vogue à la fin du XVIIIe siècle et
qui consiste à assembler cartes à jouer, portraits, estampes, lettres, assignats…, à l'image de ce pot-pourri britannique imprimé à la plaque de cuivre sur coton, conservé à Mulhouse. Le tissu reproduit parfois
l'extraordinaire diversité de la gravure guillochée au rouleau de cuivre, ainsi cette étoffe alsacienne du début du XIXe siècle, dont le décor de rosaces se
détache en un surprenant relief sur un fond moiré et qui imite à s'y méprendre un papier gaufré: effet saisissant. Et ces thèses de théologie sur satin de soi,
imprimées à l'encre d'imprimerie et à l'aide de caractères typographiques : imagine-t-on les diplômes du BAC ainsi traités? Fantastique voyage qui, des matériaux et de leur plasticité, invite à voir et à
apprécier l'ingéniosité des hommes qui les mettent en œuvre pour en extraire, tel le magicien de son chapeau, des objets rares ou quotidiens, mais qui apparaissent ici dans toute leur singulière invention. Imprimer sur tissu et sur papier au fil des siècles 22 juin - 13 novembre 2005
Musée de l'imprimerie, 13 rue de la Poulaillerie / 69002 Lyon Métro : Cordeliers T. 04 78 37 65 98
(1) Plaque taille-douce pour imprimer des mouchoirs. (Collection Musée de l'impression sur étoffes, Mulhouse) (2) Rouleau d'impression en cuivre (début 19ème siècle)
(Collection Musée de l'impression sur étoffes, Mulhouse) |