Trio Wanderer Entretien par Dominique Dubreuil
Un Trio, c'est une entité de discours comme de jeu, et si vous devinez après les avoir vus et écoutés en scène lequel des trois – le pianiste Vincent Coq, le violoniste Jean-Marc
Phillips-Varjabédian, le violoncelliste Raphaël Pidoux – prend plus souvent la parole, tant mieux… ou tant pis. Questions et réponses, donc au Trio. PLUMART: Pourquoi depuis l'origine – 1987
– le nom de Wanderer? TRIO WANDERER: Evidemment à cause de la référence au romantisme allemand. Ce Wanderer, voyageur, ce n'est pas seulement celui qui chemine d'un point à un autre d'une carte de géographie,
mais celui qui part à la découverte du monde. Bien sûr, nous nous sommes placés particulièrement sous le patronage de Schubert, avec ses lieder et son
Voyage d'hiver, sa Fantaisie pour le piano, tout ce qui le hante dans sa vie et dans son œuvre. C'est lui qui dans le romantisme musical a été le découvreur
absolu, bien qu'il n'ait pas beaucoup parcouru de pays autour de sa Vienne natale. Il a vécu l'instabilité sociale, la non-reconnaissance sauf par ceux qui
étaient proches de lui, affectivement et spirituellement. Un génie solitaire à sa façon, malgré les fameuses schubertiades, et un prophète qui invente une autre
manière de vivre le Temps musical. D'ailleurs il s'inscrit dans les autres découvertes de ses frères en romantisme, les poètes comme Novalis, les peintres comme Friedrich… Et puis Vienne est une
ville-pas-comme-les-autres: comme nous le disait l'un de nos maîtres, Norbert Brainin (le 1er violon des Amadeus): "Ici, quand on travaille Schubert, dans les
cafés viennois il y a toujours le joueur de cithare qui joue pour Dieu et le compositeur!". P: Un trio avec piano commence son répertoire à la fin du XVIIIe?
T.W: Et dès le début, c'est exceptionnellement riche, avec le trio…Haydn-Mozart-Beethoven. Puis le romantisme offre des œuvres capitales, et au sommet probablement les deux trios de Schubert, mais aussi
Mendelssohn, Schumann, Brahms. Ensuite cela ne s'arrête pas, même chez Tchaikovski dont la détestation de la formule trio était si forte…qu'il a écrit un
chef-d'œuvre avec son op.50, chez Smetana, chez Dvorak. La suite n'est pas mal non plus: Chausson, Ravel, Fauré, Chostakovitch, mais aussi des compositeurs plus rares que nous aimons faire découvrir, Casella, Ghedini,
plus tard encore Zimmermann, Kagel… P: Et maintenant ceux qui écrivent à votre intention? T.W: Oui par exemple Michèle Reverdy avec son beau titre de "Terre
inconnue", ou Thierry Escaich et ses "Lettres mêlées". Sans oublier d'autres comme Dusapin, Bacri, Gagneux… Et il y a aussi les partitions que nous
jouons "au milieu de l'orchestre" comme le célèbre "Triple Concerto" de Beethoven. Et là, parce que la formule est bien moins fréquente, il faut être
chercheur de textes, c'est ce qui nous arrive pour un disque récent où figurent deux œuvres de Martinu qui nous confrontent à un orchestre à cordes (1). P: I
t's a long way…pour arriver à l'équilibre d'un trio et le maintenir… T.W: Oui, notre "petite communauté" aura bientôt 20 ans; nous avons commencé à nous réunir quand nous étions étudiants au Conservatoire de
Paris, travaillant la musique de chambre chez Jean-Claude Pennetier. Le Beaux-Arts Trio nous a beaucoup inspirés, le quatuor Amadeus également… Avec tous ces maîtres, on apprend surtout une conception de la musique, le
respect de la partition, l'engagement collectif instrumental: "servir la musique et ne pas s'en servir". Un serment d'anti-virtuoses nombrilistes, en somme. C'est
ce qui est merveilleux dans la musique de chambre, il ne peut pas y avoir de star-system. Même les plus grands qui mènent aussi une carrière soliste
formidable conservent cet état d'esprit du groupe, Rubinstein pour le piano, Starker pour le violoncelle… P: Même aussi quand la conception des rôles dans l'œuvre privilégie un
des instrumentistes, comme chez Haydn? T.W: Encore que ce ne soit pas aussi simple à énoncer que: le piano domine, le violon double sa main droite et le violoncelle sa gauche… C'est en tout cas
très différent de Mozart, qui pense les instruments comme autant d'organes vocaux. Haydn utilise la virtuosité de chaque instrument en soi, pour le plaisir
dirait-on. Et quand il les rassemble en unisson, quand il fait une rythmique très complexe, le flottement ne pardonne pas. Il faut que ce soit d'une pureté
absolue, et pour un trio, c'est une école formidable d'interprétation, d'écoute réciproque. (1) Bohuslav Martinu : Rhapsody, Concerto, Concertino, Lidice, par le Trio
Wanderer, Tabea Zimmermann, le Gürzenich Orchester Köln, dir. James Conlon. 1 cd. CAPRICCIO 71 053. Pour tout savoir : http://www.triowanderer.com
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