En symphonies

par Dominique Dubreuil

L'Orchestre National de Lyon présente trois programmes d'importance en mars. Le premier, dirigé par le chef français Marc Piollet, se confie d'abord à l'une des plus belles partitions concertantes du romantisme. Le violoncelle de Gautier Capuçon éclairera l'unique concerto que Schumann écrivit en 1850 pour l'instrument à cordes qui fait tant penser à la voix humaine, et c'est une magnifique juxtaposition de nobles phrasés, de cadences un peu folles, de rêverie dans la nature automnale, de dessins rythmiques insistants, sans céder à la virtuosité pour elle-même. Puis l'orchestre sera lancé dans l'immense fleuve tourmenté de la 8e Symphonie de Chostakovitch, écrite en 1943, et reflet des temps tragiques pour la Russie partiellement occupée par l'envahisseur nazi. La 8e, malgré tout poursuivie par la hargne de la censure stalinienne, apparaît "comme une totalité où le projet formel et l'expression s'allient parfaitement, un étrange geyser orchestral qui pleure le sang versé, les ruines, et plonge pourtant dans la construction abstraite" (Patrick Szersnowicz). En 5 mouvements, d'une ampleur qui évoque Bruckner et Mahler, et avec son 1er mouvement démesuré (plus long que les 3 suivants réunis), tantôt elle "décrit " les horreurs de la guerre, tantôt elle médite sur les horizons apaisés qui finiront par faire oublier la tragédie universelle.
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09 et 11 mars , Auditorium; www.auditorium-lyon.com )
Le second programme (
17-18 mars), dirigé par Baldur Brönnimann, un chef particulièrement tourné vers les partitions du XXe et les créations, est titré "mystères de l'instant", car Henri Dutilleux composa en 1989 ces 9 mouvements dédiés au chef et mécène suisse Paul Sacher, selon une conception qui renouvelle son écriture du temps musical. A l'origine de cette œuvre d'une extrême subtilité rythmique et harmonique, un "instant  magique et mystérieux, dans la nuit d'été tourangelle: un silence peuplé de sons imperceptibles de la nature, et soudain un étrange appel, oiseaux invisibles se déplaçant toujours dans la même direction… " Dans l'esprit des jardins nocturnes de Bartok, ce jeu sur le lointain et les vides silencieux qui se peuplent est fascinant. La 1ère Symphonie remonte à la jeunesse de composition d'Henri Dutilleux (1949-51), on y retrouve les échos de son admiration pour Bartok, dans une conception architecturale post-classique mais déjà pleinement originale et qui s'inscrit dans une unité "cyclique". Le concert est ouvert et refermé par la féerie orchestrale de la Sheherazade ravélienne, et le tourbillon tragique de la Valse. Dans le 3e programme, l'ONL renoue avec "le fil rouge lisztien" dont nous parlait (entretien février) Jun Märkl, qui dirige le poème symphonique Hamlet, magnifique portrait orchestral du héros shakespearien sur les remparts d'Elseneur, et demande au soliste Jean-Yves Thibaudet de se mêler aux accents visionnaires de la Danse macabre. Même alternance pour un descendant de Liszt, Richard Strauss, qui dans sa jeunesse conquérante écrit une étonnante farce pianistique (encore J.Y.Thibaudet, donc, à l'intérieur de l'orchestre), la Burlesque, puis sa Vie de héros, autoportrait du compositeur aux prises avec ses ennemis esthétiques mais s'apaisant dans la sérénité philosophique (23 et 25 mars). Et entre ces deux dates , voici une "formation invitée", le Freiburger Barockorchester dirigée – du violon principal par Gottfried von der Goltz - , spécialisée dans les Bach. Ici, ce n'est pourtant pas dans les Suites d'un petit cousin Johann Bernhard(enregistrées en Allemagne) mais dans celles de l'illustrissime Johann Sebastian que travaille cet orchestre à instruments anciens. Qu'on les appelle d'ailleurs Ouvertures ou Suites, ces partitions (1e, 2e, 3e et 4e) comptent parmi les plus connues de Bach, avec quelques tubes, notamment l'Aria lyrique de la 3e, et la Badinerie ailée pour flûte de la 2e. (24 mars).
Est-ce bien le baroque? Non, la fin de la Renaissance et son efflorescence musicale dans la "polychoralité", superposition souvent aux limites de l'acrobatie de voix . Mais aussi, et spécialement à Venise où bien des expérimentations ont lieu avec les fameuses tribunes de la Basilique Saint Marc, l'exploration d'un espace nouveau, d'échos, de "respons" tromphants. C'est ce que nous propose d'écouter – la chapelle rénovée du lycée Saint-Marc… de Lyon-Ainay évoque-t-elle ces splendeurs acoustiques ? – le Concert de l'Hostel Dieu, dont le directeur Franck-Emmanuel Comte ordonnera les motets de Gabrieli, Lotti, Cavalli, ou mieux encore de l'Anglais Thomas Tallis, dont le Spem in allium à "40 voix réelles" (indépendantes) est devenu symbole de cet art très spectaculaire et subtil
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12,14 et 15 mars; T. 04 78 42 27 76; www.concert-hosteldieu.com ).
Le département de musique ancienne du CNSM ( préparé par  Marie-Claude Vallin ) œuvre, lui, dans une autre splendeur, plus austère et liée ici à la pompe funèbre, pour le Musikalische Exequien de Schütz; le génial musicien allemand compose pour les funérailles du Prince Heinrich von Reuss un ensemble textuel complexe: amalgame tiré des Saintes Ecritures et des versets de choral, oraison funèbre sur le Nunc Dimittis ("Vous pouvez maintenant rappeler vers Vous votre serviteur"), avec –là encore – étagement dans l'espace de deux chœurs dont le musicien réclame la distance pour un effet plus totalisant. La Chapelle de la Trinité semble le lieu par excellence de cette spatialisation (
21 mars; www.lachapelle-lyon.org ).
Petite Messe Solennelle: Rossini, on le sait, avait le sens du paradoxe, et l'humour gentil ("elle n'est ni petite, ni solennelle") pour désigner une œuvre qui fait la synthèse vocale de l'Italie à son époque et propose deux fugues grandioses. Le Chœur Diapason de Lyon se et nous la chante pour son 25e anniversaire, sous la direction de Bernard Tétu et dans le cadre de la Basilique d'Ainay où officie toujours le fondateur-organiste Vincent Coiffet
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21 et 26 mars; T. 04 78 42 22 79).
Le diapason baroque sera-t-il au rendez-vous lorsque les élèves du département musique ancienne du CNSM , préparés par Marie-Claude Vallin, Agnès Melchior et Thierry Ravassard, mis en espace par José-Miguel Arzuaga, seront au parlé-chanté-joué dans des extraits du Couronnement de Poppée monteverdien ? Et diapason moderne dans Pelléas de Debussy, Le Viol de Lucrèce de Britten et le Dialogue des Carmélites de Poulenc… A vérifier salle Varèse (
29,30,31 mars, 1er avril; T.04 72 19 26 26; http://www.cnsmd-lyon.fr )
Les élèves du même CNSM seront aussi dans la continuation(prolongée) du 25e anniversaire, cette fois en formation d'orchestre et sous la direction de leur patron Peter Csaba pour un concert de programme romantiqu: reprise en écho du concerto de violoncelle schumannien – histoire de "comparer" avec les
09-11 mars de l'ONL - , et la soliste Emmanuelle Bertrand, et deux Mendelssohn pas si souvent joués, la symphonie-cantate Lobgesang op.52 et l'ouverture de la Belle Mélusine (26 mars, Opéra). L'Orchestre des Pays de Savoie joue le contrepoint avec la chorégraphie (Abou Lagraa, Séverine Allarousse) sur des partitions aussi différentes que la version Mahler du 14e Quatuor de Schubert, la Malédiction liszstienne, les 4 Tempéraments de Hindemith et un Perpetuum Mobile du lithuanien Juozapaïtis, Philippe Cassard au piano et Graziella Contratto dirigeant
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14 et 23 mars, Annecy; 21 , Divonne –01-, www.savoie-culture.com/ops ).
Ne pas oublier le chant sacré, et en la période pascale, les recherches de l'Ensemble Vox Laudis (dirigé par L.Jullien de Pomerol et Guy Lathuraz) pour un grand intervalle chronologique: mystique brûlante de l'Office des Ténèbres si espagnol de Victoria, et 7 Paroles du Christ en Croix, le célèbre titre haydnien repris par le compositeur lyonnais Marcel Godard (né en 1920, qui a été maître de chapelle à Saint Jean de 1958 à 1984).
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05 avril , à St Bonaventure, puis 12 à Vilefranche ; T. 04 78 37 49 19; www.ims-lyon.com )
Enfin, lyrique-pur fin XIXe à Saint-Etienne pour une nouvelle production du Polyeucte de Gounod, dont on doit inlassablement rappeler que comme Ravel pour le Bolero, il n'est pas le compositeur du seul Faust . Le compositeur français déclarait que c'était "ce qu'il avait fait de plus beau pour le théâtre". Le sujet est sévère, et dira quelque chose aux aînés des spectateurs, pas seulement catholiques - pour qui la pièce de Corneille était l'un des jalons inévitables de la pédagogie pré-rhétorique, mon Dieu, comme le temps passe! - , mais on peut aussi y regarder-écouter des échos plus actuels sur le sacrificiel, le fanatisme et la tutelle des pouvoirs. Laurent Campellone dirige, Jean-Louis Pichon met en scène, J.P.Furlan, E.Alexiev, C.Larcher, C.Perrin, F.Bernadi chantent les rôles principaux
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07, 10 et 12 mars, Grand Théâtre, T. 04 77 47 83 40)

Ph. : Baldur Bronnimann ©DR / http://www.baldur.info