Marie-Ange Sebasti, Marges arides
par Bernard MeunierCes poèmes inspirés par le travail de l'époux
archéologue se promènent et nous promènent en un subtil va-et-vient entre le champ pierreux du fouilleur et la cité antique que furent ces blocs épars, avec ses habitants, ses secrets, ses paroles oubliées.
Je passe à gué sur le cours des siècles, voilà l'itinéraire de ce voyage, évoqué dans des vers visionnaires, fugitifs, échappés du rêve. Le regard intérieur de cette passante méditative qu'est Marie-Ange
Sebasti ne choisit pas entre le siècle d'Ougarit et le sien. Les images se superposent dans un fondu-enchaîné qui nous invite irrésistiblement à leur conciliabule. Je me tiendrai longtemps au sommet des déblais
pour voir entrer caravanes et cortèges.
* Quand ils relevèrent la pierre
on entendit parler des rois.Quel pouvoir que celui du déterreur de passé, de révéler ainsi des vies évaporées! Entre deux pierres surgit la princesse d'un palais enfoui, qu'on n'a pas
prévenue que son temps n'était plus. Dans la ville réanimée résonnent les ordres d'un roi déchu (on pense à la morte encore affairée par tant de souvenirs
de Supervielle)… évocation des catastrophes (incendies, pillages) qui ont dû mettre fin au paisible royaume, le condamnant à la survie feutrée d'un champ de fouilles, alors qu'il voudrait crier son histoire.
Saura-t-il raconter les fastes embrasés de ce royaume? Après la fin, l'oubli; le pas des dieux s'éloigne, ils n'épousent pas le malheur des mortels, hommes ou cités. Mais revient, après une
longue patience, l'archéologue dont le geste et la quête réaniment murs de pierre et mots d'argile, comme des santons pour une pastorale des travaux et des jours - pourvu qu'un œil vagabond, une oreille attentive au
murmure du vent et des morts, prêtent leurs sens à ces ressuscités encore tout interdits. Cependant le domaine enterré sait aussi obstinément défendre ses ténèbres. Il caressait la pierre pour la faire parler
mais elle n'était ni banc ni seuil ni stèle et ne comprenait rien à son éternité. Marie-Ange Sebasti, Marges arides
, illustrations de Cédric Trentesaux Lyon, Jacques André éditeur, 2006. |