Piano Passion (s)

par Dominique Dubreuil

Il est bien que le titre d'un festival inclue un mouvement de l'âme et pas seulement une localisation:
à  Saint-Etienne en mai, la passion est soulignée dès l'entrée par l'Esplanade.
En faits, cela s'articule en deux temps,
la passion-découverte et la passion-tout-court-et-bachienne (pour les plus confirmés des interprètes).
Le climax (plus haut point) est-il atteint pour une "grande soirée de concertos", qui joint l'orchestre – l'un des mythiques du baroquisme, le Concerto Köln, qui joue sans chef? - , où interviennent quatre claviéristes? Christine Shornsheim – dont nous avions vanté l'intégrale des sonates de Haydn, un coffret Capriccio WDR 3 -, Gerald Hambizer, Christian Rieger et Andreas Staier y dialoguent dans le "4 claviers" de J.S.Bach adaptant Vivaldi, puis sont en solo pour d'autres œuvres du Père et des fils (C.P.E., si on ose encore employer ces initiales, et W.F.)

Au fait, ce même Andreas Staier est-il la vedette du Festival? Il en a en tout cas la passion, à tous les registres du clavier, clavecin, piano-forte, piano; toutes les couleurs aussi et les chronologies, puisque sa situation entre ces trois instances du clavier le dirigent aussi bien en baroquie qu'en classicisme. Ici, et pour son concert de soliste, il est claveciniste, et de nouveau chez le Père Bach, dont il transcrit deux sonates de violon et joue la 4 e Partita. Un Russe lui fait écho en inspiration, dans le monument fondateur des Variations Goldberg, c'est Evgeni Koroliov, résolument au piano: cet élève des géants Neuhaus et Maria Yudina, puis de Lev Oborine est auréolé de multiples grands prix (Bach de Leipzig, Van Cliburn, Clara Haskil) et le jeune homme qui donnait en concert à 17 ans l'intégrale du Clavier Bien Tempéré a gardé Bach au cœur de son inspiration. Mais il ne faudrait pas négliger une Géorgienne, Léla Katsarava – l'ascendance familiale est complexe, puisque son arrière-grand-père était un célèbre chanteur italien, Battistini-, très ancrée elle aussi dans Bach scruté au piano: elle joue trois Toccatas et la Fantaisie Chromatique. Des Français sont aussi présents autour de Bach: le jeune Romain Hervé, élève de Bruno Rigutto et fort lisztien (au disque) joue les transcripteurs de Jean Sébastien (Liszt, justement; Siloti et Busoni). Irène Assayag (qui s'intéresse en même temps qu'à la musique ancienne au théâtre musical contemporain) montrera les ressources sonores très subtiles du clavicorde (deux Suites), Eric Beaufocher, Stéphanois enseignant en sa ville et attiré par l'opéra contemporain, prendra, lui, les "grandes orgues" du piano revisitant Bach avec Liszt et Brahms. Il faut aussi de l'orgue pour magnifier le clavier de Bach, et ce sera avec Jean-Luc Perrot qui en compagnie des sopranos Marie Basson et Karen Perret trouve des lieux appropriés à la tonalité des programmes de leur Clémence d'Urfé: donc 5 Préludes de chorals ou de fugues et un concerto d'après Vivaldi, puis du Grigny, du Couperin et des duos de Johann Christian (le petit dernier de la grande famille). L'ensemble est introduit par une conférence de Gilles Cantagrel, polymusicographe bachien, elle-même préfacée par une démonstration d'instruments du clavicorde aux électroniques.
Côté découverte, cinq jeune génération liés à la région Rhône-Alpes, dans des répertoires fort variés. Jean-Baptiste Pathulin explore Moussorgski (devinez quelle exposition!), Chopin et Rachmaninov; Romain Louveau, outre des transcriptions de Bach, joue Beethoven et Albeniz, Mélissa Dessaigne également Beethoven puis Chopin, Debussy et Ginastera. Flavien Cosma est tout-romantique dans Chopin et Liszt, et Florence Cioccolani part de Brahms pour rejoindre notre époque (Messiaen, Takemitsu) via Debussy.
(14 concerts, Saint-Etienne et autres lieux de la Loire, du
11 au 22 mai:
T. 04 77 47 83 47)

Avec passion, et sans titre ni festival, le dernier invité de la saison des Pianissimes (Saint-Germain-au-Mont dOr) est Ivan Ilic*, un pianiste américain d'origine yougoslave. Venu à Paris, il a travaillé dans la classe de Christian Ivaldi et a reçu les conseils d'Aldo Ciccolini, Dmitri Bashkirov, Stephen Kovacevic, François-René Duchâble (qui ne tarit pas d'éloges à son sujet), et Paul Badura-Skoda. Il est bien sûr à son aise dans le monde romantique, ce dont témoigne son premier c.d. Beethoven, Chopin et Brahms. Ses années de  formation aux Etats-Unis l'ont mis au contact des œuvres de compositeurs américains comme Copland, et son passage à l'université de Berkeley ne lui a pas seulement donné un bagage musical: il est un mathématicien de haut niveau, et considère que beaucoup de ses collègues devraient envisager une autre voie de culture parallèle à leur progression dans l'art des sons: "ils ont vingt ans, sont déjà pianistes sans avoir connu autre chose et n'ont pas d'autres centres d'intérêt. C'est triste!Mon but est d'être un homme complet qui s'exprime en musique, et pas seulement un musicien complet qui ne s'intéresse à rien d'autre"  Resté en lien avec les communautés serbes – notamment les interprètes et les compositeurs -, partenaire de son compatriote Noël Lee, il aime beaucoup la mélodie, notamment celle de France fin XIXe-début XXe, et il est spécialiste d'André Caplet qu'il a interprété avec le baryton Robert Gildon. Le programme de St Germain est fait d'"hommages": Haendel (Suite en fa), et les Variations Haendel de Brahms, Bach (Partita en ut) et les Variations Liszt sur Weinen, klagen, Sorgen.
(
12 mai, St Germain; T. 04 78 91 25 40)

Aux bords ou en vue du Lac lamartinien, voici un récital Chopin dans le cadre – géographiquement paradoxal – des "Week-ends des Monts du Lyonnais"… Le pianiste Erik Berchot, qui fut lauréat du Concours Chopin à Varsovie et multi-lauréat, soliste et concertiste en Europe, aime particulièrement travailler "théâtralement", par exemple avec le comédien Philippe Etesse (ils ont signé un cycle musique et poésie consacré à Chopin); mais le cinéma l'a sollicité, notamment Claude Lelouch . Au Bourget-du-Lac, Eric Berchot "panoramisera" généreusement sur son compositeur préféré: des Valses, la 2e Sonate (la Marche Funèbre), la 4e Ballade, la Fantaisie-Impromptu, le 2e Scherzo, la 6e Polonaise, deux Mazurkas. Et la sublime, la poétique Barcarolle, après laquelle vous n'aurez plus qu'à louer une barque et à rêver au clair de lune…
(Eglise St Laurent,
13 mai; T. 06 60 27 17 01)

N'oublions pas le concert"Autour de Franz Schubert", organisé dans l'esprit des "schubertiades", le
30 mai à L'Atrium de Tassin la Demi-Lune
(T: 04.78.34.70.07), mêlant littérature et musique instrumentale à ces fameux "lieder" qui ont fait la gloire du musicien.
(Barbara Morel / piano, Cédric Meyer / baryton, Annabelle Meunier / flûte traversiére, Amandine Olexa / Clarinette).

Ph. : Romain Hervé ©DR / www.romainherve.com
* Site d'Ivan Ilic: http://www.ivancdg.com
(Ivan Ilic sera également en concert à L'Embarcadère de Lyon le
19 juin)