Cézanne :
Le retour de l'enfant mal aimé

Par Christian Soleil

La vaste rétrospective de l'œuvre de Cézanne que propose jusqu'en septembre le musée Granet à Aix-en-Provence sous le titre de Cézanne en Provence frappe bien entendu par sa richesse, sa diversité, les nombreux visages d'un peintre dont le grand public ne connaît d'ordinaire qu'une seule manière,
mais surtout par le courage de ce fils de banquier de province qui sut imposer à son époque un nouvel art de peindre,
sans jamais se soucier de ce qu'en pensaient les mous, les incultes ou les aveugles. Car s'il est vrai que pour comprendre toute œuvre il convient de la resituer dans son époque, cette assertion vaut doublement pour l'artiste aixois. Il n'est bien sûr pas le seul à avoir souffert de ce que Cocteau appelait le style des familles : "Ailleurs, on doit t'encenser, mais quand moi je te dis ce qui est..." Incompris dans sa propre ville, il eut à souffrir des jugements péremptoires de ceux pour qui l'acte de peindre consiste forcément dans l'exercice bourgeois traditionnel de reproduire, sinon la Création Divine, du moins la nature telle qu'elle est en soi. Or, tel n'est évidemment pas le propos de Cézanne. La délicatesse avec laquelle il peint des portraits, le regard qu'il porte sur les paysages de sa Provence natale, sa façon ébauchée, caressante, immédiate de traduire l'émotion ressentie devant la montagne Sainte-Victoire, quitte à brouiller les couleurs traditionnelle pour parvenir au plus juste du sentiment éprouvé : rien à voir bien sûr avec le corset de la peinture classique. Si Léonard de Vinci, premier des modernes, s'efforce dans un portrait de retrouver la psychologie de ses personnages, Cézanne fait un immense pas en avant, ou peut-être de côté, en illustrant avant tout un regard.
Réalisée en partenariat avec la National Gallery of Art de Washington, l'exposition Cézanne en Provence regroupe plus de cent dix toiles venues du monde entier, présentées dans le bel écrin du tout nouveau musée Granet. Autour de l'exposition, une floraison de manifestations invite à réfléchir, à comprendre Cézanne et à marcher dans ses pas. Les ateliers de Cézanne, trésors de la ville, ouvrent leurs portes pour la première fois au public. Des artistes de renom, dans tous les registres de la création contemporaine, comme Giuseppe Penone, Shigeru Ban ou Sir Simon Rattle, seront présents sur les terres de Cézanne, pour lui rendre des hommages aussi inédits qu'inattendus. A l'image du grand concert que donnera l'Orchestre philarmonique de Berlin au pied de Sainte-Victoire.

Le 16 octobre 1906, Cézanne, alors âgé de 67 ans, installé au sommet de la colline de Lauves surplombant Aix-en-Provence, peint son amour de toujours, la montagne Sainte-Victoire, lorsque la pluie survient. Il continue son œuvre des heures durant sous l'averse avant de s'évanouir. Il meurt huit jours plus tard,
le 23 octobre, d'une pleurésie. Cent ans donc.
Et la France reconnaissante célèbre son héros. 2006 est l'année Cézanne.
Il n'en a pas toujours été ainsi. La postérité du peintre fut fluctuante. En 1951, son atelier des Lauves aurait été rasé sans les mécènes américains qui l'achetèrent pour l'offrir à l'université d'Aix (il est aujourd'hui propriété de la ville). En 1970, l'autoroute traversa le parc du Jas du Bouffan, ancienne propriété des Cézanne. Et il fallut attendre la grande rétrospective de 1995 pour que l'œuvre jouisse véritablement d'un grand succès auprès du public. Celui qu'on ne prenait jadis pas pour un peintre sérieux, qu'on accusait volontiers d'être incapable de produire une œuvre aboutie, le voilà désormais consacré père de la peinture moderne. Sans doute. A mesure que le temps passe, les poncifs sur son œuvre s'effacent pour, un jour, il faut l'espérer, disparaître. Voilà même qu'aujourd'hui on crie on génie, un costume qui sied si mal pourtant à l'homme d'émotion, de retenue, de sensibilité qu'est le grand peintre à travers ses œuvres. Les théories cézaniennes, que leur auteur ne cessait de transgresser pour se soumettre à son intuition et à sa sensibilité, n'aveuglent plus que ceux que la liberté encore effraie. Et le peintre peu à peu devient ce qu'il rêvait d'être : un immense classique de son temps, à l'égal de Poussin, de Courbet, de Monet ou, après lui, de Picasso. Un héros.

CEZANNE en Provence, jusqu'au 17 septembre 2006.
Musée Granet, Place Saint-Jean-de-Malte / 13100 Aix-en-Provence
www.cezanne-2006.com

(1)Grand pin et terres rouges
Huile sur toile, 72 x 91 cm - 1890-1895
Musée national de l'Ermitage, Saint Petersbourg
© Musée national de l'Ermitage, Saint Petersbourg
(2)La Carrière de Bibémus
Huile sur toile, 65 x 81 cm - c. 1895
Museum Folkwang Essen © Jens Nober

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