Eugénie Jan
ou la lumière du soir

Par Jean-Paul Gavard-Perret

Espace de lumière sont des noms prononçables de l'absolu lorsqu'il voyage dans la peinture. Certains, pour l'atteindre, utilisent la voie - apparemment la plus simple - en faisant appel aux couleurs vives et claires et aux ascension des lignes ce qui tout compte faite revient à réduire la peinture à une simple re-présentation, à une image de l'image.

Rien donc de très intéressant et c'est une manière de faire injure à l'art que le réduire à cette dimension. Or à travers l'exposition organisée autour du collectif "Les biodédradés", la galerie Sparts va exposer, en figure de proue, celle qui avec Jérôme Boutterin représente une des artistes françaises les plus intéressantes de la nouvelle peinture puisque dans ses toiles les plus puissantes, Eugènie Jan a choisi le chemin inverse à celui ébauché plus haut : car cette passionnée de peinture est aussi une extralucide souffrante ( comme le sont les vrais voyants). Elle appartient à la catégorie des peintres qui écarquillent le regard en le plongeant d'abord dans le noir. Mais pour l'artiste il s'agit de ressouder le monde par son regard, sa gestuelle, sa technique. Son regard reste ainsi la lumière reçue autant que donnée mais d'une manière détournée comme si dans le noir (de mort) la vie se mettait à s'ébattre pour que la vie ressorte mieux encore... Eugénie Jan radiographie le monde en même temps qu'elle le reconstruit et l'invente à travers différentes étapes: le minéral, le végétal, l'animal avant d'atteindre l'aube de ce 7ème jour où Dieu ne se reposa pas, mais créa la femme, la femme artiste peintre.
Tout repose chez elle sur ce double axiome : comment donner en tableaux fixes et sombres ce qui remue le plus : la vie devant et en soi-même. Ainsi à travers les couleurs qui jaillissent d'une chair picturale elle nous ressoude à notre corps spirituel, à ses souffrances mais aussi ses joies.

User de la couleur aurait été plus simple et si un peintre comme Lewigue s'encombre de couleurs pour montrer ce que cachent nos ombres portées, Eugénie Jan a choisi une voie plus aride qui édifie par le geste ce qui dénoue et sort de la nuit. C'est dans les trous de la matière picturale que l'artiste fait un saut à la fois dans le vide et contre lui dans ce qui tient au sacrement du monde et pas à sa seule séduction d'apparence. Il existe ainsi chez elle - puisqu'il faut parfois coller des étiquettes une sorte d'abstraction concrète comme la musique. Mais rien de fugacesEn faisant toujours sentir l'épreuve du ressenti - sinon la peinture n'est rien d'autre que du décoratif, on se doute bien qu'ainsi l'artiste ne peint pas pour illustrer l'atmosphère : elle peint par cette nécessité, celle qui fait croire qu'elle s'oppose au hasard mais qui de fait s'oppose plus aux apparences. Il existe donc dans son œuvre un clair de terre, un clair de soi. Et c'est là toute la lucidité et l'exigence d'une artiste qui ne s'est jamais contenté des à peu près : il y a du William Blake en elle, car il a toujours senti la terrible faille d'être soi-même.

Pourtant Eugénie Jan demeure, par ses approches à la recherche de l'origine "rupestre" de l'être qui nous concerne tous. Quelque chose se casse. Plus loin encore sur une sorte de crête un sommet ou le bout de cul de sac, un effondrement, une impasse. Bref ne subsiste que l'essentiel et qui fait la marque de fabrique d'une œuvre où couve un incendie. Comme si le temps n'existait plus ou ne finissait pas de finir là où la peinture montre un non lieu, un trou, un chaos de ravins au seuil du noir. La perfection du geste est ici le désordre avec ce retour précipité, éternellement, perpétuellement. C'est pourquoi une telle peinture dans sa viscosité devient ce tremblement qui fait basculer le poids du monde. Ne demeure donc qu'un essentiel effet de démultiplication ce mouvement perpétuel, en ce piège qui ne s'écarte pas. Il faut comme le peintre en accepter l'énigme, l'énigme de cela en ses pays inconnus mais découverts. Enfin.

Eugenie Jan, exposition dans le cadre du collectif "les biodégradés",
Du 22 juin au 08 juillet 2006 / Galerie Sparts, 41 rue de Seine, Paris
Pour voir des œuvres, consulter l'article du N°76 :
http://www.plumart.com/vf7605/html/1176_e_jan.html