Luzia Hürzeler,
l'image construite

Par Claude-Hubert Tatot

Derrière un rideau qui masque le corps et évite les éclaboussures quelqu'un se douche dans sa baignoire.
Un projecteur s'allume à intervalles réguliers au rythme d'un éternuement,
des moineaux picorent un pain fourré de graines jusqu'à l'arrivée d'un pigeon.
Rien de spectaculaire dans ces vidéos,
au contraire même.
L'action réduite à des choses simples, constitue des bribes de narration jamais développées. La banalité n'est pas pour autant le sujet du travail vidéo de Luzia Hürzeler. Elle en est un ingrédient qui lui  permet de mettre en œuvre des dispositifs complexes.

L'image du rideau de douche est projetée sur un écran qui descend du plafond et s'arrête justement à la hauteur normale d'une baignoire. Le son indique que l'eau coule, qu'un corps bouge, se savonne et se rince juste là derrière. Pourtant, en faisant le tour, le spectateur retrouve la même image, le même rideau, la même attente. L'image en boucle est réversible. Du corps, bien présent lors du tournage, il ne reste qu'une présence fantomatique. Décidément l'image projetée n'est pas la réalité et la frustration du regardeur tient justement à la force de l'illusion.

Quand elle montre des oiseaux picorant un pain de graine confectionné pour la circonstance, nous assistons à une destruction prévue, qui par le jeu de perspective prend des allures de catastrophes. Ce cube de pâte, ancré au sol par deux clous, est posé à l'extérieur. Pas plus grand qu'un parpaing, il paraît à l'image aussi monumental que les constructions qui sont derrière lui. Parfaitement inscrit dans la ligne d'immeuble, il se fond dans le paysage et les oiseaux qui le picorent jusqu'à son effondrement semblent démesurément grands. Ce qui est vrai pour les moineaux l'est plus encore pour un pigeon. Il chasse les plus peureux et permet finalement aux plus téméraires de récupérer les miettes que laissent ses coups de bec répétés et puissants. Si le souvenir des films catastrophe ou les oiseaux de Hitchcock nous reviennent en mémoire, la simplicité des moyens mis en œuvres montre que l'intention est toute autre. Il s'agit d'un dispositif optique plutôt que d'un trucage et le spectateur comprend que l'image se construit par le cadrage et la distance entre les différents éléments. Il est cependant pris entre cette réalité et la puissance de l'effet visuel.

L'installation Perturbations, est encore le fruit d'un dispositif mais cette fois ci, sans image. Dans une salle vide, un projecteur vidéo suspendu émet à intervalle irrégulier un flash de lumière qui éclaire le sol. Cette projection aveuglante, déclenchée par le son d'un éternuement est furtive et inattendue. Elle surprend en rompant simultanément le silence et le noir. Tout dans cette installation renvoie à notre propre expérience, au moment suspendu où la tension monte, à l'explosion plus ou moins contenue, plus ou moins bruyante, aux yeux qui se ferment automatiquement, au calme très court, qui envahi le corps après l'éternuement.
A partir de situations simples issues du quotidien, Luzia Hürzeler entraîne avec humour le spectateur dans des expériences visuelles et sonores qui questionnent sa perception du monde et son propre rapport au réel.

Luzia Hürzeler expose Vogelhaus au Musée Neuhaus de Bienne / www.mn-biel.ch
exposition "Pigeon Vole!"
jusqu'au 01.10.2006.
Ph.: Vogelhaus et Rideau ©DR