Nathalie Ergino aux commandes de l'IAC
Comment réimaginer dans la continuité

Né en 1997 de la fusion du Nouveau Musée, centre d'art créé en 1978,
et du Frac Rhône-Alpes, créé en 1982, l'Institut d'art contemporain est une institution pionnière en France,
dotée de la double mission d'organiser des expositions temporaires dans ses murs,
à Villeurbanne, et de constituer la Collection IAC – Frac Rhône-Alpes pour la diffuser sur l'ensemble du territoire rhône-alpin. Début 2006, Nathalie Ergino succède au fondateur Jean-Louis Maubant à la tête de la structure. Dans le contexte de la recomposition du paysage de l'art contemporain à Lyon, qui verra en 2007 l'installation de l'Ecole des beaux-arts aux Subsistances, nous avons rencontré Nathalie Ergino qui détaille son projet à la fois ambitieux et pragmatique pour l'IAC.

Propos recueillis par Florence Charpigny

Quatre mois après votre entrée en fonction, comment envisagez-vous votre travail à la tête de l'IAC?
Nathalie Ergino: Je tente de prendre un peu plus de temps que la machine ne semblerait m'en donner, or la machine ne m'en donne que très peu. Hormis prolonger l'exposition de Melik Ohanian, je n'ai rien freiné en matière d'actualité des expositions de diffusion de la collection en région, ni en matière de médiation: le rythme se poursuit normalement. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple, préserver ce rythme, concevoir et en plus réimaginer la structure dans son fonctionnement pour le coup très structurel. Pour cette année, il y a des choses qui sont plus qu'amorcées, mais 2007 est vraiment en gestation. Parallèlement à des contenus, il y a l'idée de faire une grille d'expositions, pourrais-je le faire financièrement, ce n'est pas évident aujourd'hui, mais je pourrais peut-être intensifier leur rythme. Sur la manière de les faire, j'ai tendance à penser, comme Jean-Louis Maubant, que l'IAC est un espace qui, pour la monographie, l'exposition personnelle, est de grande qualité. Avec un artiste de maturité suffisante, on peut faire des pauses dans son travail qui puissent être vraiment enrichissantes et nécessaires, c'était le cas de nombreuses expositions ici, ou d'expositions que j'ai pu réaliser au Musée d'art contemporain de Marseille, comme celle de Rodney Graham: c'était sa première rétrospective et lui-même en était troublé. Mais dans l'immédiat je n'ai pas forcément envie de ne l'envisager que sous cet angle, la dimension expérimentale et comment structurer les espaces, quitte à se tromper sur la manière de les utiliser, me parait important, il faut essayer de voir comment on peut sortir du schéma aussi bien d'expositions collectives sur tout le lieu que de monographies. Est-ce qu'on peut travailler à différentes vitesses, à différentes expositions simultanées, comment? Le lieu que je viens de quitter s'y prêtait davantage, il était moins beau, mais il était modulable et je pouvais casser et reconstruire. C'est ma réflexion, au-delà du contenu même, et c'est important parce qu'à un moment donné cela ré-inspire sur de vraies histoires.

Comment concevez-vous le déploiement de la mission de l'IAC?
NE: Il s'agit de préserver tout ce qui a été fait. Si tout le travail consiste à créer un équilibrage par rapport au travail mené en région, c'est justement également au profit de ce rayonnement régional, d'autant plus fort sur une base solide. Vous ne m'avez pas posé la question, mais elle m'a été posée plusieurs fois : il s'agit bien de réanimer ce qui a été fait, il n'y a pas d'idée de rupture par rapport à cela ! J'ai choisi l'IAC en connaissance de cause, et qui plus est, je suis fière d'être héritière d'un fondateur. J'insiste: un premier passage de flambeau, dans ces structures de la fin des années 70, c'est la première fois ! Il est vrai qu'artistiquement on n'a pas forcément les mêmes choix, mais ce n'est pas de la rupture, c'est de la différence dans les contenus. Même si on est face à une donne très variée, très élargie, qui peut donner le tournis, c'est cela qui est intéressant, c'est dans ce cadre-là qu'il est intéressant de trouver une manière, de faire des choix, peut-être de se tromper, mais on a toujours été dans cette non-certitude, et d'arriver à ce que la certitude soit motrice pour qu'on puisse éventuellement se tromper sans que cela nous inquiète, même si on faisait au mieux pour l'éviter. C'est juste un peu difficile, nous traversons un moment qui n'est pas dépourvu d'intérêt, loin s'en faut; je sens même de l'ébullition qui est d'une autre nature que celle qu'on a connue ces dernières années, qui est beaucoup plus sur l'expérience, avec des regards tournés vers les nouvelles technologies, qui ne sont pas une finalité mais le moyen qui permet d'accélérer certaines recherches. L'espace, c'est presque un truisme que d'en parler aujourd'hui, mais cela n'a pas été tellement investi, finalement. Donc il y a beaucoup d'attention portée vers d'autres territoires, d'autres histoires, qui artistiquement vont trouver leur place. Par rapport à cette notion de diversité des vitesses, cela permet aussi d'être réactif par rapport à une scène qui est un peu plus importante qu'autrefois. De là jusqu'à dire qu'on fait dix expositions différentes comme un lieu qu'on connaît bien à Genève, je n'en n'ai pas la prétention, je lui laisse très volontiers ce grand talent que d'ailleurs, dans son espace, le musée permet davantage avec ses quatre plateaux. Un plateau c'est bien, mais c'est plus complexe à gérer que des plateaux superposés qui permettent de glisser diverses approches et de démonter un endroit sans tout toucher. Je quitte un lieu qui était aussi sur un plateau d'un seul tenant, si on ne parle pas d'un point de vue strictement artistique, cela a le grand inconvénient, au moment d'un démontage/montage, d'être condamné à fermer le lieu. Puisque c'est la création d'une exposition qui, à mes yeux, génère une collection, il faut faire que la collection Rhône-Alpes, par sa présence, puisse générer encore une forme d'activité, qu'elle ne soit pas fossilisée, et cela suppose un sacré renouvellement d'intention. Donc je vois deux vitesses dans cet espace: expositions temporaires, espace d'expérimentation. A Marseille j'avais un troisième espace qui était une collection, dans l'écho, dans la résonance aux expositions. C'est plus complexe mais vraiment intéressant de montrer des œuvres dans cette relation de vie, quitte même à les faire choisir par l'artiste exposé. Donc garder cette dimension créative au niveau de l'aspect patrimonial, parce que c'est un patrimoine dynamique: la chaîne est simple, on créé, on expose, on acquiert dans la collection Rhône-Alpes, cela me paraît extrêmement cohérent comme type de structure, il ne manquerait presque que les résidences d'artistes. J'aimerais bien réanimer aussi l'aspect éditorial qui est une des grandes forces de la structure, il faudrait déjà impulser la politique éditoriale liée aux expositions pour ensuite aborder celle qui ne l'est pas. C'est beaucoup de choses, oui…

Quelles expositions programmez-vous, à court et moyen terme ?
NE: Cette année, de façon assez simple, nous allons montrer le 17 juin une présentation des acquisitions 2005, à ce moment-là on pourra communiquer de nouveau sur le fait que, justement, l'Institut d'art contemporain n'est plus le Nouveau musée mais non plus le Frac: c'est un tout qui englobe ces deux aspects puisque, mieux, nous l'appelons "la collection Rhône-Alpes". Cela me permettra d'insister pour qu'on évite de me demander si je m'occupe des deux structures: c'est la même! On verra le travail réalisé l'année dernière, ainsi que l'exposition Distorsions qui vient à la suite de Glissades - "être le ministre de sa propre culture" , au Grand Palais avec, autour de Raymond Hains, des œuvres d'artistes différents. Pour l'automne, j'ai un projet plus monographique avec un artiste belge, Jef Geys, qui a 70 ans maintenant et qui est peu connu en France. Pour le coup, je vais vers les anciens, je l'ai montré au Magasin il y a 15 ans mais avec un projet qui n'avait pas fonctionné. Relativement à son œuvre, on pourrait presque parler d'art conceptuel, un art conceptuel très débridé, très ouvert, une œuvre que j'ai défendue déjà dans le passé, qui a été montrée aussi à Dokumenta récemment; internationalement elle existe mais n'est pas forcément relayée, en tous les cas certainement pas en France. On va essayer de voir avec lui comment faire quelque chose qui lui permette d'apparaître, peut-être en deux temps plutôt que d'un seul coup. Jef Geys m'avait demandé: "Mais pourquoi ne ferions-nous pas une exposition, différente forcément, mais sur toute l'année?" C'est un projet que j'aimerais pouvoir réaliser un jour. Je sais bien que cela pourrait être un peu lassant pour certains, mais l'expérience serait intéressante. Donc 2006 sera une période de mise en place, il faut accepter l'idée que les budgets n'ont pas augmenté cette année, on est dans ce cadre-là, on sait que, si elle veut vraiment afficher un programme d'expositions, la structure a besoin de se doter de budgets plus importants, et le principe du changement de direction doit pouvoir amener cela. Mais pour 2006, c'est un petit peu tôt.

Jusqu'au 27 août 2006 à l'Institut d'art contemporain, Villeurbanne
Distorsions (1) et  Collection'05
http://www.i-art-c.org/
Carton d'invitation pour l'exposition "Distorsions" (1)
Raymond Hains et Jacques Viléglé, Pénélope ,1950/1980 (extrait) -  ©entre Pompidou, Paris