Nuits de Fourvière 2006 : "Sous le signe du merveilleux"
par Yves Neyrolles Il y a 60 ans, le 29 juin 1946, les théâtres romains de Lugdunum, restaurés sous la houlette
d'Édouard Herriot, retrouvaient leur vocation en proposant une représentation des Perses d'Eschyle, jouée par le groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne. La décentralisation théâtrale était encore à
inventer et il fallut attendre quelques années pour voir, à Fourvière, des créations produites sur place par des artistes comme Planchon, Maréchal, Erlo, Biaggi, appelés en même temps à
montrer leur travail sur les rives de la Seine ou dans de nombreux pays étrangers. Les Nuits de Fourvière, activées depuis quelques années par le Département
du Rhône, ont pris la suite de ces Festivals aux noms divers qui, l'été venant, rassemblaient les Lyonnais … et les autres sur les flancs de la colline "antique".
Elles manifestent aujourd'hui, à leur manière, cette volonté qu'a notre ville de se situer dans le "concert" international des foyers de culture, invitant des
troupes de prestige, ou apportant des moyens importants qui permettent à des artistes reconnus, mais dont le travail reste confiné dans une structure plutôt
moyenne, de porter à un très large public toute la mesure de leur talent. Ainsi, Michel Raskine, directeur du théâtre du Point du Jour, est-il le
premier invité pour la réouverture de l'Odéon, lieu que des problèmes de sécurité avaient obligé à maintenir fermé au cours des dernières années. Il a choisi Shakespeare et une pièce "énorme" mais assez rarement jouée,
Périclès, prince de Tyr, adressant au passage un clin d'œil à celui dont il était l'assistant lorsque Roger Planchon présentait cette pièce à Villeurbanne.
Pièce "énorme" en ce sens que, comme de nombreuses productions populaires, elle est chargée d'évènements aussi nombreux que terribles: poursuites, enlèvements, tueries, scènes incestueuses… mais aussi un naufrage,
une pêche miraculeuse, des apparitions, des songes prémonitoires, des châtiments divins etc. Pièce rarement jouée du fait même de l'inventaire (incomplet) qui vient d'être dressé, Périclès, prince de Tyr
est d'abord un vrai défi pour le metteur en scène "qui s'y colle" et, en même temps, une belle tentation pour celui qui, comme Shakespeare le fit à son époque, souhaite tirer du "bruit et de la
fureur" dans lesquels s'agite notre planète une petite lueur d'espoir en l'homme "qui traverse les tempêtes, marche avec un cœur d'enfant au-devant de la
terreur et de l'enchantement du monde, et revit enfin grâce aux pouvoirs de la jeunesse et de l'amour". Ce conte de fées, recueilli par un certain John Gower en 1390, transformé en
poème dramatique par William Shakespeare en 1608, transcrit dans un français flamboyant par le poète André du Bouchet en 1959, sera donc proposé au public comme premier rendez-vous théâtral des "Nuits" 2006,
dans le cadre singulier de l'Odéon, dont les proportions plus "intimes" que celles du Grand Théâtre, permettent à 900 spectateurs d'être au cœur de
l'action, au cœur des choses, au cœur du monde, penchés à la fois sur le rêve éveillé que nous offre la scène et sur la ville dont les lumières frémissent,
comme les étoiles sous lesquelles nous nous trouvons rassemblés. Ces nuits étoilées — espérons-le — de Fourvière seront, pour ce soixantième
anniversaire, éclairées par l'alliance doublement magique de la musique et du cinéma. La Belle et la Bête, le chef d'œuvre de Jean Cocteau, réapparaîtra dans une
version presque totalement nouvelle, musicale et chantée, grâce à l'intervention de Philip Glass qui a, pour ainsi dire, entièrement "réécrit" le film sur ses
propres images, en conduisant l'histoire du côté des musiques électroniques dont il a le secret et des voix que les interprètes, présents sur le plateau,
réinsuffleront aux corps développant leur vie "merveilleuse" sur l'écran. Cependant, l'événement de l'édition 2006 sera à coup sûr la création résultant
d'une rencontre tout à fait inattendue — et donc merveilleuse — entre celui qui, depuis plus d'un quart de siècle, élève le spectacle équestre à la dimension
d'une authentique création artistique et celui qui poursuit une aventure très singulière dans la maîtrise des 52 touches noires et des 36 touches blanches d'un piano. On les aura reconnus: Alexandre Tharaud
tentera d'inviter Jean-Sébastien Bach au banquet équestre inventé par Bartabas. On se prend à regretter que les "Nuits" n'aient pas proposé aussi, dans la programmation consacrée au cinéma, le "merveilleux"
Mazeppa, ce film somptueux du même Bartabas, par lequel l'artiste rendait hommage au peintre Géricault, d'autant plus que le Musée des Beaux Arts offre
actuellement, dans le cadre d'une exposition consacrée à ce peintre, le tableau illustrant la scène légendaire, reprise par Bartabas dans son film, où le célèbre
cavalier, surpris en flagrant délit d'adultère par un Polonais jaloux, est attaché nu sur un cheval sauvage qui va l'emporter jusqu'en Ukraine. Dommage pour
ce maillon manquant, mais les Nuits de Fourvière 2006 seront ponctuées de nombreux autres moments de théâtre, de danse, de musiques et de cinéma et,
année après année, elles apparaissent comme l'incontournable évènement de l'été à Lyon. Périclès, prince de Tyr Texte: William Shakespeare; Texte français: André du Bouchet; Mise en scène: Michel Raskine 22 au 28 juin 2006 – 21 h: OdéonLa Belle et la Bête
Film de Jean Cocteau; musique de Philip Glass, interprétée en direct par Philip Glass & The Philip Glass Ensemble
29 juin
– 22 h: Grand ThéâtreRécital Équestre Alexandre Tharaud / Bartabas / Bach et L'Académie du Spectacle équestre de Versailles
14 au 17 juin – 22 h : Grand Théâtre
Les Nuits de Fourvière / Théâtres Gallo-Romains de Lyon 14 juin au 04 août 2006 www.nuitsdefourviere.fr
Ph. : Visuel "Périclés, prince de Tyr"©Mimmo Jodice |