Romane Bohringer par Yves Neyrolles La rencontre de Romane Bohringer avec la presse (elle joue actuellement Face de cuillère
au Théâtre de la Croix-Rousse) n'est pas à proprement parler un feu roulant de questions/réponses (une seule question sera posée à l'artiste) mais plutôt le spectacle improvisé, durant plus d'une heure, d'un dialogue entre la jeune comédienne et le directeur du Théâtre, lequel, par une interrogation habile, couvre peu à peu tout le champ des questions possibles et permet à cette tulipe noire, poussée en dehors du joli parterre habituel des talents, de s'épanouir devant nous, de s'iriser, jouant tour à tour de toutes les couleurs qu'une jeune comédienne, fille de son papa, très tôt habituée à accompagner celui-ci dans son propre parcours artistique, peut prendre en racontant simultanément cette enfance où, paradoxalement, théâtre et cinéma lui apparaissent plus solides, plus fermes que le monde de l'école (on y dit toujours: "À demain" quand on se quitte et cela rassure l'enfant), les débuts d'une "carrière" sous l'œil et le cœur vigilants du père, ou cette rencontre avec l'adolescente nommée "Face de cuillère" par son entourage parce qu'elle a une grosse bouille en guise de figure et qu'elle va, en plus, bientôt mourir.
Romane Bohringer raconte donc la belle expérience qui, c'est la première fois, la porte, seule, sur scène pour faire entendre le long et virevoltant monologue d'une adolescente que la maladie sépare du monde, fait
grandir vite — à sa façon d'aller tout de suite au cœur des choses, au vif de la vie, cette enfant manifeste une maturité rare — et éclaire d'une étrange façon. Les mots défilent, justement, pour la vie, contre la mort
toute proche, sans emphase ni pathos malgré la situation, mais avec l'appui de la musique ou, plutôt, du chant (l'enfant écoute la Callas), cette voix qui sublime le temps ordinaire et fait accepter l'inacceptable,
puisque la mort, comme ça, "cela vous porte" et vous retient de vous plaindre. Romane Bohringer dit le bonheur qu'elle a
eu de travailler sous la direction de Michel Didym pour mener ce pari d'assumer, seule, l'impressionnant texte de Lee Hall remarquablement traduit en français par Fabrice Melquiot. Elle dit ses doutes et ses hésitations
devant la difficulté à "jouer" le personnage d'une adolescente, mais aussi la confiance "enclenchée" par le metteur en scène qui recentre la comédienne sur le texte, le texte dans sa richesse: "ne jouer que les mots,
tels qu'ils ont été écrits, en respectant leur rythme, à la virgule près". Elle dit le bonheur de se laisser aller dans le mouvement des phrases et d'abandonner son corps à la surprise des gestes qui en découlent,
allant vers cette petite fille qu'elle aura à offrir au public. Elle dit aussi les bonheurs antérieurs, en compagnie de Pierre Pradinas et d'Irina Brook, dans des pièces de Tennessee Williams, Shakespeare et Brecht,
toutes présentées au Théâtre de la Croix-Rousse au cours des dernières saisons. Elle se dit "gâtée", privilégiée, insiste sur le fait que, malgré les difficultés bien réelles qu'on y rencontre, le métier de comédien,
chaque fois qu'il peut s'exercer (telle est la vraie, la seule question pour beaucoup), n'amène que du bonheur. En décembre , elle reviendra à la Croix-Rousse, où elle jouera une pièce complètement "déglinguée", une
broderie loufoque autour du dernier fantasme de Fantomas: elle se retrouvera au milieu de toute une troupe, comme elle aime depuis toujours, et le spectacle sera aux antipodes de celui qu'elle propose aujourd'hui. Face de cuillère /
Texte: Lee Hall; traduction française: Fabrice Melquiot Tournée en France :Du
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