Concerts de juin
Lyon / Saint-Etienne

Par Dominique Dubreuil

S'il est un concert important dans le courant de juin, du côté de la clôture de saison O.N.L., c'est bien celui dans lequel Pierre-Laurent Aimard use d'une formule un peu inhabituelle. Le centrage en est réalisé sur Mozart tout ensemble symphoniste, soliste, concertiste et chambriste, et l'on peut compter sur la pédagogie dont le pianiste (d'origine lyonnaise) est l'incontestable spécialiste pour donner à ce choix un éclairage convaincant. Car du clavier, P.L.Aimard ne se contente pas de diriger l'orchestre tout en jouant: il guide l'auditeur qui croit parfois savoir beaucoup ou justement, et lui indique en douceur mais avec autorité que d'autres chemins sont possibles.
Il analyse et montre, synthétise mais demeure dans la clarté sensible et précise. D'abord, un Wolfgang de 18 ans pour la 29 e symphonie K.201, dans laquelle s'opère une jonction harmonieuse entre le désir de structure rigoureuse et l'intensité expressive, après la très tourmentée "petite sol mineur" (K.183) de l'année  précédente. Trois ans plus tard est composé celui des concertos de piano par lequel Mozart accède à la très grande et dramatique forme: le langage y est souverainement dense, et culmine dans un andantino qui creuse dans la profondeur la plus secrète, probablement la plus douloureuse de l'être, mais non en anecdote, et d'une façon qui installe la métaphysique dans la musique (9e, K.271). A 28 ans, Mozart aussi compose pour le plaisir, et prend plaisir à jeter sur son œuvre un regard heureux: ainsi en va-t-il du Quintette pour piano et vents (K.452), dont le fils écrit au Père: "Je tiens cela pour ce que j'ai fait encore de mieux dans ma vie". Nous établirions sans doute un autre ordre de valeur(s), mais le mélange du clavier et des vents est dans l'écriture une des plus superbes conquêtes mozartiennes, c'est vrai. Enfin la 16e sonate (K.570), à 33 ans,  inscrit dans le classicisme à la fois beauté, luxe d'idées maîtrisées, calme de surface (mais en profondeur, l'adagio…) et volupté de l'ordre harmonieux . (Auditorium,
15 et 17 juin; T.04 78 95 95 95; www.auditorium-lyon.com )

A côté de cette approche, on aurait tort de ne pas monter sur la colline pour contempler comment le jeune Mozart rassemble, à mi-chemin entre l'oratorio et l'opéra sacré, entre le lyrique seria et l'intégration des données maçonniques, un Thamos Roi d'Egypte, dans l'esprit duquel il puisera plus tard pour méditer sur la sagesse. La Messe en ut mineur de 1782 donne la réplique catholique – tantôt baroque, tantôt classico-sévère -, et c'est un ensemble dirigé par André Bernard qui s'affronte à ces partitions exigeantes (Symphonique de San Remo, Schola Witkowski, dir. Jacques Berthelon, quatuor de solistes, A.Zabala, J.Delescluze, L. Del Alba Rubio, B.Ohanian) (Basilique de Fourvière, 15 juin; T. 04 78 47 59 34).
Au fait, la sagesse ultime de Mozart, n'est-ce pas dans La Flûte Enchantée qu'elle se trouve? On ne se lasse pas d'interroger le chef-d'œuvre ultime de Mozart, celui qui mobilisait – plus que le Requiem, probablement – ses dernières pensées, et que tous, petits et grands, savants et "simples spectateurs", initiés à la spiritualité maçonnique et publics d'un soir, aiment à revoir. Qu'en sera-t-il sous la direction musicale de Giuseppe Grazioli (Symphonique de Saint Etienne, Maîtrise de la Loire; solistes vocaux parmi lesquels la brillante Ingrid Perruche) et selon la mise en espace d'Eric Chevalier: conte pour tous les enfants et ceux qui sont restés dans la magie de ce temps, grande célébration opératique, réflexion sacrée?
(
16, 18 et 20 juin; Saint-Etienne, Théâtre Massenet, T. 04 77 47 83 47)

Pour la nuit de la Saint-Jean, pourquoi ne pas se faire une toile, et s'installer sous l'écran pour le dernier de la série Auditorium des Ciné-Concerts? D'autant que la thématique d'avant-garde, l'humour, la réflexion sur les savants fous et la poésie ravissent dans les premiers films de René Clair, et que ce Paris qui dort (1923) a fait l'objet d'une musique originale de Yan Maresz, interprétée live par l'Ensemble Court-circuit que dirige Pierre-André Valade , et avec une réalisation, informatique de l'IRCAM. (24 juin, Auditorium). Ou aller rêver au clair de lune… à Venise, dans le cadre des Concerts de la Chapelle: c'est une fois encore Vivaldi, alias le Prêtre Roux, qui est à l'honneur . La célèbre boutade "600 fois le même concerto" ne tient évidemment pas plus que la virtuelle "555 fois la même sonate" pour Domenico Scarlatti. L'invention chez ces Italiens est prodigieuse, incessante; mais là où Scarlatti "décrit" plutôt l'humeur psychologique et affective, Vivaldi recourt fréquemment au spectacle de la nature, non seulement de façon individuelle, mais en groupant ses concertos par cycles. Ainsi en va-t-il pour les Saisons qui ont ouvert la voie de sa redécouverte et sont ici présentes par L'Eté. On y joint La Notte, récit nocturne et théâtralisé, qui permet de s'extasier sur ce qu'on voit-entend, et fait réfléchir sur ce que la musique peut prélever du réel pour évoquer l'atmosphère et les sentiments. Un concerto de Telemann, le prolifique homme du Nord, sert de miroir d'écriture aux italianités. Vous sortez de la Chapelle, c'est la Nuit, presque l'été…. L'ensemble très en vogue (légitime) Matheus, dirigé par Jean-Christophe Spinosi , nous invite à réécouter ces partitions qu'on a l'impression de connaître par cœur, sinon du cœur… (Trinité, 14 juin; T.04 78 38 09 09; www.lachapelle-lyon.org )

Autre Italie, ô combien, et pourtant la même pour l'amour du chant: dans le cours tempêtueux du XIXe et comme achèvement du romantisme, voici le théâtral mais aussi intime (du fond du cœur troublé par la mort) Requiem de Verdi.
Ce sont les Concerts de la Cité qui inaugurent le cadre et l'acoustique de la Salle 3000 (au bout du Quai Charles de Gaulle, le long du Rhône), avec l'Orchestre Symphonique du Lyonnais, quatre Chœurs réunis et le quatuor de solistes, tous placés sous la direction de Philippe Fournier (
20 juin; T. 04 72 67 01 88).

"A l'est" de l'Europe et de l'agglomération, Russie éternelle au programme de l'Orchestre des Hospices civils que dirige Vincent Thomas, avec le 1er Concerto de Tchaikovski (le pianiste biélorusse Mikhaïl Yurkov), puis la 3e Symphonie (le nord-ouest, cette fois), Ecossaise, de Mendelssohn (10 juin, Auditorium; T. 06 75 58 96 05; www.ohcl.org ).
Et pour ne pas tout oublier du XXIe avant de partir et laisser partir en vacances estivales, retour au quai Chauveau et au CNSM de Lyon pour un atelier du XXe dirigé par Romeo Monteiro (et chorégraphié par Yuval Pick): partitions de Gérard Grisey, Luigi Nono, A.Vigani et Raphaèle Biston
(17 juin, Salle Varèse dans le cadre du Festival Agora; T. 04 72 19 26 61; www.cnsmd-lyon.fr )

***Info de dernière minute***
Crypte de Fourvière les
21, 23 et 27 juin: Choeur et Orchestre XIX dirigé par Jean-Philippe Dubor: le Requiem de Mozart, avec en première partie trois pièces de musique dites "maçonniques" (dans l'intention ou dans la philosophie): die Maurerische Trauermusik, die Maurerfreude et le Kyrie en ré mineur.
(T. 04 78 93 62 11).

Ph. : Pierre-Laurent Aimard ©Guy Vivien