Celui qui dit oui, celui qui dit non

par Yves Neyrolles

Pour clore sa riche saison, le TNG propose une création en collaboration avec l'Opéra de Lyon et offre aux jeunes spectateurs l'occasion de découvrir un des chefs-d'œuvre du XXe siècle: Celui qui dit oui / Celui qui dit non, résultat du fructueux échange des démarches artistiques de Bertold Brecht et de Kurt Weill.
C'est dans la pleine effervescence de la République de Weimar, menacée par la "résistible" montée du parti d'Adolf Hitler, que ces deux créateurs développent l'idée d'un opéra à la portée du plus grand nombre et engagé résolument dans le monde moderne: Homme pour Homme, puis L'Opéra de quat'sous ont marqué les premières étapes de ce souci de miner l'opéra "bourgeois" et d'entamer par le texte et par la musique une véritable révolution.

En 1930, Brecht s'inspire d'un conte japonais et écrit Celui qui dit oui, opéra pour les écoles, dont la composition musicale est évidemment confiée à celui avec lequel il se sent en parfaite symbiose depuis 1927, date de la création d'Homme pour Homme.
"Celui qui dit oui: pour rapporter à sa mère le remède qui la guérira, le Garçon accompagne dans le voyage au-delà des montagnes l'Instituteur et trois étudiants. Ne pouvant franchir l'arête, il approuve la "grande coutume" afin que sa mère puisse avoir son médicament.
La "grande coutume" du voyage au-delà des montagnes est de précipiter dans la vallée celui qui ne peut franchir une arête étroite à mi-parcours et qui empêche le groupe de poursuivre son chemin. On lui demande son accord. Jusqu'à présent la victime a toujours dit oui"

Cette fois encore, le garçon dit oui à la coutume, marquant son accord avec la nécessité de sa mort, une mort qui sauvera sa mère.
L'œuvre suscite de vives discussions dans une Allemagne en proie elle-même à la lutte de courants contradictoires, parmi lesquels émerge celui d'un tout nouveau parti, justement fondé sur l'adhésion sans discussion à "l'intelligence" de son chef.
Brecht écrit deux autres versions, l'une motivant de façon plus concrète la prononciation du oui, l'autre montrant la possibilité du non, appuyé dans sa démarche d'écrivain par un Kurt Weill pour qui l'opéra "moderne" doit être cette forme ouverte à la discussion et à l'esprit d'initiative, en même temps qu'une manière de "restaurer la forme originelle de l'opéra".
Trois ans plus tard, après une victoire électorale, le parti à la tête duquel se trouve Adolf Hitler se charge très vite d'instaurer l'épouvante, la haine, la guerre. Bertolt Brecht, Kurt Weill et beaucoup d'autres, présentés comme "artistes dégénérés", menacés physiquement par la Gestapo, quittent l'Allemagne pour la France, puis pour les États-Unis d'Amérique.

Aujourd'hui, Jérémie Rhorer et Richard Brunel, dirigeant les chanteurs du Nouveau Studio de l'Opéra de Lyon et les enfants de la Maîtrise de l'Opéra de Lyon, tentent de susciter des échos actuels au contexte brûlant dans lequel les deux créateurs ont essayé de pointer les contradictions de leur époque et d'ouvrir une perspective de réflexion à l'usage des très jeunes gens, pour inviter ceux-ci à se montrer vigilants devant de lourdes décisions à prendre.
"Celui qui dit non: pour rapporter à sa mère le remède qui la guérira, Le Garçon accompagne dans le voyage au-delà des montagnes l'Instituteur et trois étudiants. Ne pouvant franchir l'arête, il désapprouve la "grande coutume", dit non et propose de la renouveler en instituant "pour toute nouvelle situation une nouvelle réflexion".
Celui qui dit oui et Celui qui dit non: une œuvre et son retournement, une écriture musicale et théâtrale simple et forte, accessible à tous, profondément émouvante".
Notons que cette création fait partie d'un Festival consacré à Kurt Weill, présenté par l'Opéra de Lyon, festival qui est l'occasion de développer un partenariat avec des créateurs et des institutions théâtrales de Lyon ou de l'agglomération lyonnaise: ainsi, Jean Lacornerie, directeur artistique du Théâtre de la Renaissance d'Oullins, met-il en scène Signé Vénus, tandis qu'à l'Opéra lui-même sera donné un programme réunissant Le Vol de Lindbergh et Les sept Péchés Capitaux, deux œuvres qui témoignent de la fascination de Weill et de Brecht pour l'Amérique. François Girard est le metteur en scène de ce diptyque.

Celui qui dit oui / Celui qui dit non ( Der Jasager / Der Neinsager)
Texte de Bertolt Brecht, d'après La Chute dans la vallée, conte japonais du XVe siècle
Musique de Kurt Weill
Opéra tout public dès 7 ans – Durée 1 h 30
Du 06 au 10 juin 2006 - TNG / Grande scène
Théâtre Nouvelle génération / 23 rue de Bourgogne – Lyon 9e