Showtime : le défilé de mode au musée Par Odile Blanc A l'heure où le défilé est plus que jamais à la mode,
le Musée de la mode de la Ville de Paris lui consacre la première exposition. Parcours ludique qui invite le visiteur à explorer les coulisses du défilé de mode et le plonge littéralement au cœur de cette extraordinaire
machine à produire du son, de la lumière, de la couleur, de la parure, bref du spectacle au sein duquel le vêtement n'est finalement qu'un accessoire parmi d'autres. C'est bien le mérite de cette exposition
organisée en trois parties: Espaces, du carton d'invitation aux lieux propres – si divers – du défilé; Artifices, où il est question des moyens qui donnent au défilé ses conditions si particulières de
visibilité; Passages, où l'on suit les mouvements des modèles devant le public. Organisation trinitaire, si l'on ose dire, où l'on apprend d'abord que le défilé,
sous sa forme première de présentation des modèles à la clientèle sur mannequins vivants, ne date pas d'hier : la couturière londonienne Lucille aurait inventé la chose dans les années 1890 – mais l'on se souvient qu'à
Paris, vingt cinq ans plus tôt, Charles Frédéric Worth, autre londonien inventeur de la haute couture parisienne, recourait au même genre de présentation. Nombre de journaux de mode, au tournant des XIXe et XXe
siècles, témoignent de la fréquence du procédé, et la présentation de mode s'inscrit dès lors parmi les événements mondains du temps. Le défilé, comme
nous le suggère justement cette exposition, c'est d'abord son annonce. Les cartons d'invitation présentés, dont les premiers datent de 1913, sont la
signature du couturier autant que le marquage, poétique ou/et drolatique, de l'événement à venir : une gomme pour Yohji Yamamoto, un masque pour
Chantal Thomass… En tant que spectacle total, le défilé intéresse le cinéma et n'a pas attendu les années 1980 pour l'investir. Témoin Le défilé vu par un homme
, avec dans le rôle de l'homme Jean Yanne, tour à tour intimidé et rigolard, sans gêne (j'écrase mes clopes dans l'épaisseur de la moquette) et
précautionneux, lors d'un défilé de Paco Rabanne et Courrèges en 1962. Le regard de l'homme papillonne dans un intéressant va-et-vient entre ce qui se
passe dans la salle et sur le podium: d'un côté des spectateurs statiques, de l'autre des silhouettes graciles dans un mouvement joliment déjanté.
Dans les années soixante toujours, les couturiers et désormais stylistes investissent des lieux nouveaux et sonorisent leur présentation. Les années 1980 ont consacré le phénomène dans une recherche parfois frénétique:
usines désaffectées, garages et autres bâtiments industriels dans la veine troisième guerre mondiale; wagon de train, quai de métro, piscine, ou la rue
tout simplement; musées, hôtels particuliers et boudoirs pour un nouveau raffinement, avec parfois un "retour" à la présentation par numéro, où les modèles portent un nom et sont annoncés par une "ouvreuse" - comme dans
cette présentation hautement humoristique de la collection couture homme hiver 1996/1997 de Jean Paul Gaultier. Ces lieux parfois insolites sont le
cadre d'accessoires incroyables qui surgissent d'une manière encore plus irréelle, telle cette coiffure représentant un trois-mâts (Gaultier encore) que ne désavoueraient pas les élégantes d'une autre époque.
L'on s'attarde ensuite sur tout ce qui donne au défilé ses conditions particulières de visibilité : notes techniques et conseils destinés aux mannequins, jeu sophistiqué de la lumière, choix du son, scénographie,
géométrie du parcours : en ligne droite, brisée, zig zag, cercle, ou même sur un échiquier géant selon une récente proposition d'Alexandre Mac Queen pour
Givenchy. De multiples écrans nous renvoient des vidéos de défilés, avec ça et là quelques vêtements qui y furent présentés. Cette dernière partie est un peu
touffue, dense et bruyante, on s'y perd avant de déboucher dans une sorte de couloir au sol jonché de traces de pas marqués en rouge (rappel d'un défilé
de Martin Margiela en 1988), qui nous mène face à un écran empli de photographes aux flash crépitants, mettant ainsi le visiteur dans la position du
mannequin. Parcours sans faute et multiplication des points de vue pour un sujet difficile habilement mis en scène. Showtime, le défilé de mode /
Jusqu'au 30 juillet 2006
Musée de la mode de la Ville de Paris, Palais Galliera 10 avenue Pierre de Serbie, Paris XVIe |