Le grand show d'Ousmane Sow
 
par Florence Charpigny

Paris, Pont des Arts. Au fond, le Louvre. Sur le pont, malgré le froid et le vent, une foule attentive, bardée d'appareils photos; souriante, écoutant le jeune chanteur et reprenant avec lui des refrains de Brassens; nonchalante, s'attardant auprès du peintre qui peint la Seine. Et surtout, regardant, observant, commentant, réagissant aux scénographies d'Ousmane Sow.

Au total, 68 sculptures, personnages et animaux modelés, plus grands que nature, arrangées en groupes qui chacun raconte une histoire: des lutteurs Noubas combattent, des guerriers et des bergers Masaïs, des bergers et des villageois Peuls vaquent à leurs occupations, Two Moon et ses Cheyennes, Gall et ses Sioux repoussent la Septième Compagnie du général Custer à Little Big Horn. Chaque scène, chaque détail, l'ensemble même, tout s'impose, évident et singulier, par l'expressivité éclatante des visages et des attitudes, les anatomies somptueuses, farouches…

Voilà bien ce qui trouble et interroge dans l'œuvre d'Ousmane Sow: l'émotion ressentie, l'attirance provoquée sont à saisir au filtre des histoires croisées du sculpteur dakarois et de son public européen. "Anatomie farouche"! L'écrire, n'est-ce-pas au fond se référer au mythe du sauvage, pas si bon que ça; gloser sur la nudité sans érotisme des lutteurs Noubas, n'est-ce pas convoquer une soi-disant pureté originelle? On pourrait voir aussi dans ces scènes du quotidien des tribus africaines la volonté d'Ousmane Sow de témoigner voire, tel le griot, de transmettre les éléments d'une tradition, d'une culture ou encore d'un patrimoine fragile, comme on dirait ici. Mais l'artiste dit lui-même qu'il s'est intéressé aux Noubas à travers les photographies de la très contestée Leni Riefensthal, et qu'il n'a jamais rencontré les Zoulous ou les Masaïs. En fait, on aurait probablement tort de considérer le travail d'Ousmane Sow comme une enquête ethnographique, ce qui inciterait à se poser naïvement la question du sens de Little Big Horn, qui ne ressortit pas de sa culture et qu'il aborde cependant avec autant de bonheur. L'œuvre de Sow va bien au-delà du témoignage ou de la description; il atteint, à mon sens, une dimension de l'ordre de l'universalisme.
La question n'est pas de savoir s'il participe de la tradition artistique européenne ou africaine, mais de pénétrer les moyens de l'extraordinaire effet produit, et particulièrement du terrible esthétisme de la violence constamment mise en scène, violence douce des scènes de scarification, violence ritualisée des scènes de lutte, violence meurtrière des scènes de bataille. Il y a dans les anatomies, les postures des combattants et des chevaux de Little Big Horn, littéralement pétris comme des chairs à vif, quelque chose de Géricault, un souffle épique qui saisit le mouvement et le sentiment, mais transcende cette violence sans pour autant la sacraliser. En évitant la représentation des blessures et du sang, Ousmane Sow produit une image au symbolisme universel.

Regrettera-t-on l'espace un peu clos du pont qui resserre l'œuvre? Certes non, puisqu'aussi bien elle n'est ni une reconstitution, ni un trompe-l'œil mais plutôt une pièce de théâtre muette et immobile qui donne à comprendre.

Ousmane Sow sur le Pont des Arts, Paris
jusqu'au 20 mai 1999
www.paris-France.org

Photographies: B.Soulé